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Explication linéaire : L'albatros/ Les fleurs du Mal
(Baudelaire)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

L’albatros

​


Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

​

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.

​

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

 

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.



Baudelaire Les Fleurs du mal, 1857

 

INTRODUCTION

​

« Le Poète est semblable au prince des nuées »

​

C’est par ces termes que nous comprenons à la fin du poème que le fameux oiseau est bel et bien l’allégorie du poète, un poète maudit qui n’est pas sans rappeler la posture de l’artiste revendiquée par Baudelaire : contre le monde et ses normes qui le constituent (d’où les critiques et sa marginalisation) mais aussi au-dessus des bassesses et des petites mesquineries en comprenant, par sa hauteur (de point de vue ?) que l’essentiel est probablement ailleurs. Deuxième poème de la deuxième édition (1861) du recueil Les Fleurs du mal de Charles Baudelaire, l’albatros appartient à la section « Spleen et Idéal ». Comportant quatre quatrains en alexandrins à rimes croisées, alternativement féminines et masculines, le texte fait tout à la fois l’éloge et la critique d’un animal… ressemblant, l’air de rien, de très près à son auteur…

 

​

Pour la fluidité de mon explication, je découperai le poème en 3 axes :

 

  1. Une vision idéalisée de l’oiseau, notamment dans sa 1ère strophe

  2. Une vision dépréciative du même animal, allégorie du Spleen, dans les strophes 2 et 3.

  3. Une conclusion mystérieuse faisant de cet animal une vision double et symbolique dans la 4ème strophe.

EXPLICATION LINÉAIRE

​

Dès le premier vers, l’impression qui semble se dégager du texte est un sentiment d’effroi et de solitude.


Dès la 1ère phrase, nous retrouvons la présentation des marins par une périphrase.

 

Ce procédé, je peux le voir dans le terme « des hommes d’équipage »

 

Ce procédé, selon moi, évoque immédiatement le caractère isolé de ces hommes, seuls sur leur bateau et en marge de la société. L’aspect austère de ces marins crée ainsi un effet d’antithèse avec la présentation des albatros, créatures plutôt privilégiées et au-dessus de la mêlée. Cette impression méliorative et largement idéalisée me parait mise en lumière par un petit champ lexical de la grandeur : on rappellera effectivement que le vol de ces oiseaux est majestueux (« vastes »), ils sont tranquilles et sereins (« indolents compagnons de voyage »)


Cette idéalisation est peut-être là pour inviter le lecteur à mieux prendre de la distance et voir ces oiseaux (tout comme ce bateau) comme une allégorie possible de la vie : dès le début de notre existence, nous glissons quelque part vers un voyage – la vie - qui se terminera quand ces mêmes marins accosteront.  La rime mers/amers pourra ainsi rappeler la mort et la fin de ce voyage.

 

Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.

​

​

Dans le 2ème axe, l’impression qui domine, à l’inverse, est de voir cet oiseau, non plus comme un bel élément mélioratif… mais comme une « chose », dévalorisante… et largement dépréciative.


La rupture est brutale : la locution « A peine » (que l’on pourrait remplacer par « aussitôt que ») montre une antithèse flagrante entre l’aérien et la terre ferme (avec des termes comme « planche » / « azur »).

 

Cette antithèse est encore plus visible dans les impressions que laisse ces oiseaux de chaque côté des hémistiches :  d’abord royaux et impressionnants (« Que ces rois de l’azur ») puis pitoyables et ridicules « maladroits et honteux »)

 

Pour amplifier et expliciter encore plus cette impression, nous voyons aussi que les vers 9 et 10 renforcent nettement le contraste entre les termes mélioratifs et les termes péjoratifs. (Lire les exemples)

 

A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.         (La comparaison, ici, chosifie l’animal et l’englue dans la mer, très loin du ciel, censé être son élément)

​

Ce contraste entre les termes mélioratifs et les termes péjoratifs est toujours bien présent dans la 3ème strophe, largement accentué par les phrases de type exclamatif (ex). Mais le point culminant de cette vision dépréciative se trouve selon moi dans les deux derniers vers de cette 3ème strophe puisque la cruauté et l’indifférence des hommes apparaissent ici dans toute leur bêtise, renforcée par le balancement venu du parallélisme de construction l’un/ l’autre. (Ex)

​

Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime, en boitant, l’infirme qui volait !

​

Ces énumérations de critiques sont d’autant plus horribles qu’elles emploient le verbe voler à l’imparfait, comme si cet « infirme » d’oiseau à qui on aurait coupé les ailes n’avait d’oiseau que le nom… sa fonction d’être volant étant désormais réduite au passé…

​

Il s’agit donc sans nul doute de générer ici un sentiment de pitié, propre au registre pathétique, pour mieux communion avec ce sentiment de souffrance qu’inspire le pauvre animal…

​

Dans le 3ème axe, il me semble en effet que cet oiseau, loin de se réduire à un simple animal, porte aussi en lui une forte portée symbolique…

​

Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.

 

L’albatros, évoqué par la périphrase « prince des nuées », est effectivement ici comparée au poète - Baudelaire sans aucun doute. Cette figure de style met ainsi en valeur une opposition entre les aspirations du poète, associé au champ lexical maritime et aérien  : (avec des termes comme "prince des nuées", "roi de l’azur", "hante la tempête", "se rit de l’archer, indolents, voyageur ailé"), et ses conditions de vie quotidiennes : associé au champ lexical terrestre (avec des termes comme « exilé sur le sol, sur les planches, huées, comique, empêchent de marcher, boitant, traîner, piteusement »).


On l’aura compris, cette antithèse inscrit l’oiseau - mais surtout le poète - dans un véritable écartèlement car l’artiste est fait pour « voler », autrement dit « rêver, imaginer, créer, penser, méditer ». Il est fait pour voler mais tous ces acteurs de la comédie humaine lui demandent de « ramper » … autrement dit : de se taire et de ne pas trop choquer la bienséance des petites gens aux valeurs étriquées (on notera, sur cette thématique le mots « huées » qui n’est pas sans rappeler les cris des spectateurs mécontents au théâtre et qui veulent tout de suite être remboursés).

CONCLUSION

Pour conclure, nous avons donc vu que le poème L’Albatros permettait à Baudelaire de mieux allégoriser ces obsessions d’artistes : celles de montrer, entre autres, une série de tension que l’artiste chérissait, entre spleen et idéal, boue et or, bonheur apparent et tristesse résignée. Dans « Une charogne », le poète se servait d’un cadavre d’animal pour mieux réinventer le topos du « Tempus fugit » … un albatros pour sa part, l’aide à mieux allégoriser le statut du poète et aussi de mieux réinventer le thème du bonheur, toujours inaccessible et éphémère… mais éternel, par les mots, grâce à la réécriture poétique. Une poésie qui pourrait encore mieux s’appréhender par le célèbre tableau de Magritte intitulé « une promesse ».

 

Tout comme l’oiseau de Baudelaire, celui de Magritte offre une vision double et déstructurante qui trouble en même qu’elle fascine le lecteur. En nommant sa toile « une promesse », Magritte n’offre pas un bonheur clé en mains… il le suggère et propose en évoquant la possibilité qu’une promesse de bonheur est peut-être parfois plus forte que le bonheur vécu…

 

On peut dès lors se demander si pour Baudelaire, à l’instar de Magritte, un bonheur poétique, transmutant le malheur de la marginalité dans une pure joie créative ne serait pas plus fort que le bonheur traditionnel et un peu bourgeois de celles et ceux qui se contentent de satisfaire à leurs besoins.

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