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La Peau de chagrin, (1831, H. de Balzac), incipit, achat de la Peau de chagrin

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

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— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de chagrin.

— Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.

— J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas nourri, répliqua l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de Swedenborg, ni de votre amulette orientale, ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est désormais impossible. Voyons ! ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné ! Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie ! // Que les vins se succèdent toujours plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours ! Que la nuit soit parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages inconnues //: que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent ; peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir. Aussi souhaité-je et des priapées antiques après boire, et des chants à réveiller les morts, et de triples baisers, des baisers sans fin dont le bruit passe sur Paris comme un craquement d’incendie, y réveille les époux et leur inspire une ardeur cuisante qui rajeunisse même les septuagénaires !

 
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INTRODUCTION

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« je veux vivre avec excès,» (Accroche)

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C’est en ses termes que Raphaël – nommé au début « l’inconnu » par le narrateur - envisage sa façon de mener son existence. Un souhait tout en exagération qui annoncera largement la déchéance du personnage qui sera aussi bien consumé par cette peau, chèrement acquise, que par ses désirs, matérialisés dans ce drôle d’objet. Ce roman paru en 1831 viendra largement confirmer le succès de Balzac en tant que romancier empruntant ce que les spécialistes appelleront plus tard « le réalisme fantastique ». Aurait-on donc ainsi affaire à une histoire nous faisant réfléchir sur le désir et la passion ? Ces derniers, sont-ils un moteur ou un frein dans notre épanouissement personnel ? Suscitent-ils l’énergie nous rapprochant de notre élan vital ou au contraire la destruction nous rapprochant du chaos et de la mort ? Balzac lui-même définissait son œuvre comme « une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est prise avec le Désir, principe de toute passion ».

 

[Contextualisation]  

 

Pour une meilleure fluidité dans l’éclairage de ces réflexions, je découperai donc le texte en 2 axes :

  1. Nous verrons dans un premier axe deux personnages que tout oppose. (Lignes 1 et 2)

  2. Dans un deuxième temps, nous verrons ensuite l’excès et la fébrilité du personnage. (Sur tout le reste du texte)

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EXPLICATION LINEAIRE

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— Eh ! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit l’inconnu en saisissant la Peau de chagrin.

Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.

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Dès les premières lignes, il me semble que nous avons immédiatement deux mondes que tout oppose à travers les deux personnages.

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(Impressions)

L’inconnu semble avoir pour sa part une sorte de fébrilité, visible à travers sa manière de parler. Je pense, entre autres, au point d’exclamation mais aussi aux nombreuses anaphores ponctuant son discours ainsi que le champ lexical qu’il commence à employer, largement autour de la démesure.

 

(Procédés)

 

L’anaphore en « je veux » scandera régulièrement tout le passage. Quant à l’expression « avec excès », elle initiera elle aussi une immense variété de mots reflétant le côté excessif de Raphaël…

Le personnage du vieillard, lui, sera complètement à l’opposé. Sa mise en garde à la forme impérative représenterait plutôt une forme de sagesse, voire de pondération.

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(Exemples)

 

Pourquoi une telle dualité ? Cette antithèse (entre « jeune homme » et « vieillard ») permet selon moi d’allégoriser deux visions de la vie : l’une où l’instinct et la passion dominent l’existence pour mieux pouvoir en profiter… l’autre, plus pondérée, qui préfèrera jeter un doute raisonnable sur ce qui nous entoure. Cette tension, d’après moi, permet donc déjà implicitement au lecteur de sentir une réflexion présente dans toute l’œuvre : jusqu’à quel point doit-on/peut-on céder à nos désirs ?

 

 (Argumentation)

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Dans le deuxième axe, il me semble que tout est mis en évidence pour accentuer la tension, voire la fébrilité du personnage de Raphaël.

 

— J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée ; mais elles ne m’ont même pas nourri, répliqua l’inconnu. Je ne veux être la dupe ni d’une prédication digne de Swedenborg, ni de votre amulette orientale, ni des charitables efforts que vous faites, monsieur, pour me retenir dans un monde où mon existence est désormais impossible. Voyons ! ajouta-t-il en serrant le talisman d’une main convulsive et regardant le vieillard. Je veux un dîner royalement splendide, quelque bacchanale digne du siècle où tout s’est, dit-on, perfectionné ! Que mes convives soient jeunes, spirituels et sans préjugés, joyeux jusqu’à la folie !

 

De la ligne 3 à 9, il me semble effectivement que l’on a affaire à une confrontation entre la raison et la passion. Cette antithèse entre raison/passion se voit notamment par l’anaphore en « par » (« par l’étude et par la pensée ») soulignant le sérieux et le côté intellectuel du héros). Pour tout ce qui relève de l’irrationnel, sa mise en lumière est explicitée par l’énumération de la conjonction « ni » («ni d’une prédication digne de Swedenborg, ni de votre amulette orientale"). Cette accumulation permet, du reste, de conforter un champ lexical mystique (confirmé par le mot « talisman ») dont nous reparlerons tout à l’heure…

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Déçu par la raison (Raphaël utilise le plus que parfait en disant « J’avais résolu ma vie par l’étude et par la pensée » : sous-entendant que cette époque est désormais révolue), intrigué  -pour ne pas dire très fortement happé – par ce qui excite son imaginaire… on pressent que cet « inconnu » est déjà écartelé entre deux idées contradictoires… et ce n’est pas le champ lexical de l’excès, évoqué tout à l’heure, (avec des expressions comme « main convulsive » « royalement splendide », « bacchanale digne du siècle » et « joyeux jusqu’à la folie ! ») qui dira le contraire !

 

De la ligne 9 à 13, ces impressions me semblent confirmées par les mêmes procédés précédemment évoqués, avec le champ lexical de l’excès, régulièrement accompagné de superlatifs (avec des termes comme « toujours plus incisifs, plus pétillants » ou « par-delà les bornes du monde ») , et l’anaphore en « Je veux », martelant, toujours avec excès, les désirs toujours plus vampirisants du personnage.

 

Que les vins se succèdent toujours plus incisifs, plus pétillants, et soient de force à nous enivrer pour trois jours ! Que la nuit soit parée de femmes ardentes ! Je veux que la Débauche en délire et rugissante nous emporte dans son char à quatre chevaux, par-delà les bornes du monde, pour nous verser sur des plages inconnues.

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Dans les dernières lignes (lignes 13 à 19), l’aspect excessif du personnage nous permet de supposer qu’il voit sans doute trop grand dans ses désirs. Quels seraient les procédés concrets et visibles dans le texte me permettant d’affirmer de tels propos ?

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« que les âmes montent dans les cieux ou se plongent dans la boue, je ne sais si alors elles s’élèvent ou s’abaissent ; peu m’importe ! Donc je commande à ce pouvoir sinistre de me fondre toutes les joies dans une joie. Oui, j’ai besoin d’embrasser les plaisirs du ciel et de la terre dans une dernière étreinte pour en mourir. Aussi souhaité-je et des priapées antiques après boire, et des chants à réveiller les morts, et de triples baisers, des baisers sans fin dont le bruit passe sur Paris comme un craquement d’incendie, y réveille les époux et leur inspire une ardeur cuisante qui rajeunisse même les septuagénaires ! »

 

Tout simplement la confirmation des procédés plusieurs fois évoqués dans cette analyse… avec des Figures d’accumulation (ex). Il y a aussi des anaphores en « Je veux » ou avec quelques équivalents (ex) et un champ lexical de l’excès montrent que cet inconnu se complait définitivement dans l’exagération. Parmi ces procédés, je n’en oublie pas un nouveau : l’antithèse entre le ciel et la boue (ex). Ces antithèses, selon moi, montrent que cet inconnu est prêt à engloutir ses désirs dans toutes ses contradictions.

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Est-ce que cela serait au risque d’imploser ?

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Quelle que soit la réponse donnée à cette question, force est de constater que ce texte, de façon nouvelle et régénérante, pose la question du désir et de sa légitimité. Déconnecte-t-il du réel ou permet-il au contraire de vivre pleinement et intensément… au risque de mourir et de se brûler trop vite les ailes ?

CONCLUSION

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Pour conclure, nous avons vu dans un premier axe à quel point Raphaël et l’antiquaire incarnait deux visions du monde que tout oppose : excès et fébrilité pour l’un, sagesse et modération pour l’autre. Dans un deuxième axe, nous nous sommes aperçus que cette fébrilité annonce à l’avance le caractère de Raphaël, perdu et déjà possédé par ses passions…

 

Cette manière d’appréhender le réalisme pourrait se comparer à celle de Gustave Flaubert, autre théoricien du réalisme. Mais là où Balzac sonde les tréfonds de la psyché humaine en utilisant une sorte de réalisme fantastique, l’auteur de Madame Bovary, lui, critique les passions par un réalisme ironique en se moquant des ambitions démesurées et ridicules de ses personnages. On peut dès lors se demander la réelle place qu’il faudrait accorder à ses désirs pour retrouver une certaine sérénité. Si, comme le dit le narrateur, « le bonheur engloutit nos forces, comme le malheur éteint nos vertus », comment trouver un véritable équilibre entre ces deux sentiments ?

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