
Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
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Explication linéaire :Discours de la servitude volontaire (La Boétie), le début
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
Mais ô Dieu, qu’est-ce que cela peut être ? Comment dirons-nous que cela s’appelle ? Quel malheur est celui-là ? Quel vice ? Ou plutôt quel malheureux vice ? Voir un nombre infini de personnes, non pas obéir, mais servir ; non pas être gouvernées, mais tyrannisées, n’ayant ni biens, ni parents, ni femmes, ni enfants, ni leur vie même qui soit à eux ; souffrir les pilleries, les paillardises, les cruautés, non pas d’une armée, non pas d’un camp barbare contre lequel il faudrait perdre son sang et d’abord sa vie, mais d’un seul. Non pas d’un Hercule ni d’un Samson, mais d’un seul hommeau et le plus souvent le plus lâche et le plus efféminé de toute la nation. Non pas d’un homme accoutumé à la poussière des batailles, ni même à peine au sable des tournois ; non pas d’un homme capable par sa force de commander des hommes, mais d’un homme tout empêtré à se faire l’esclave de la moindre courtisane.
Appellerons-nous cela de la lâcheté ? Dirons-nous que ceux qui servent sont couards et affaiblis ? Si deux, si trois, si quatre, ne se défendent pas contre un seul, cela est étrange, mais toutefois possible. On pourra alors dire à bon droit que c’est faute de courage. Mais si cent, si mille souffrent par la faute d’un seul, ne dira-t-on pas qu’ils ne veulent point, et non qu’ils n’osent s’en prendre à lui, et que c’est, non de la couardise, mais plutôt du mépris ou du dédain ? Si l’on voit non pas cent, non pas mille hommes, mais cent pays, mille villes, un million d’hommes n’assaillir pas un seul, dont le mieux traité de tous en reçoit ce mal d’être serf et esclave, comment pourrons-nous nommer cela ? Est-ce lâcheté ?
La Boétie, Discours de la servitude volontaire
« un seul hommeau et le plus souvent le plus lâche et le plus efféminé de toute la nation » (Accroche)
C’est en ces termes peu flatteurs que La Boétie décrit un tyran au tout début de son discours de la servitude volontaire, un ouvrage rédigé par Étienne de La Boétie à l’âge de 16 ou 18 ans et publié en latin, par fragments en 1574, puis intégralement en français en 1576. Cet auteur humaniste du XVIᵉ siècle croit en la dignité et la liberté naturelles de l’homme. Dès les premières pages, il renverse les valeurs établies et s’indigne devant un phénomène qu’il juge incompréhensible : la soumission volontaire.
Précédemment, il avait rationnellement posé la possibilité qu'un peuple puisse se fier à un chef qui l'aurait défendu devant une invasion ou une situation de danger. Il en avait compris le bien-fondé. Il admet que la confiance ou l’habitude d’obéir peuvent expliquer qu’un peuple accepte un chef dans des circonstances précises, mais il souligne déjà le risque de l’élever au rang de maître absolu. Une fois cette étape du raisonnement achevé, reste à s'interroger sur les dangers attachés au fait d'obéir à un seul homme et sur l'absurdité d'un tel choix. Dans ce passage, la Boétie pose donc le premier paradoxe du discours qui s'avérera central et sur lequel il reviendra régulièrement.
Ce texte mérite d'être lu comme un moment décisif du raisonnement et sa spécificité tient dans l'énergie déployée pour emporter l'adhésion du lecteur. Il conviendrait donc de s'interroger sur les procédés mis en œuvre pour identifier le problème de la servitude volontaire afin de mieux le stigmatiser ensuite. Comment La Boétie met-il en évidence ce paradoxe ? Quels procédés utilise-t-il pour dénoncer l’absurdité, voire la monstruosité, de la domination d’un seul homme ? (Contextualisation)
Autant de points que nous mettrons en lumière à travers deux grands axes :
1. La dénonciation du tyran et l’absurdité de son pouvoir dans le premier paragraphe.
2. La critique du peuple et la mise en évidence de la servitude volontaire dans le deuxième paragraphe.

1er axe
Dès les premières lignes, La Boétie insiste sur la lâcheté du peuple qui supporte la monstruosité du tyran, une monstruosité qui paraît même acceptée, voire choisie, par le peuple lui-même. Sur quels critères objectifs puis-je affirmer cela ?
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Les premières phrases du texte commencent par une série de phrases interrogatives qui restent sans réponse. Notons également que le « ô » lyrique et cette poussent immédiatement le lecteur dans un registre lyrique.
Mais ô Dieu, qu’est-ce que cela peut être ? Comment dirons-nous que cela s’appelle ? Quel malheur est celui-là ? Quel vice ? Ou plutôt quel malheureux vice ?
Pourquoi une telle volonté ?
Pris par les émotions, il semblerait que l’auteur, dans une démarche persuasive, veuille plonger son lecteur dans une dimension catastrophiste… pour mieux l’impliquer dans le problème évoqué … ou alors pour mieux le bousculer dans sa lâcheté, une lâcheté que la Boétie tente d’évoquer, sans pourtant encore vraiment la nommer !
Précaution d’usage pour ne pas le vexer ? Ironie légère permettant de se moquer de lui ? Ou simple travail préparatoire pour mieux l’amener à prendre conscience de la bêtise de sa situation d’opprimé volontaire ?
Ces questions, on pourrait les appeler des questions rhétoriques si la réponse était évidente. Mais l’est-elle réellement ? La servitude volontaire dans laquelle s’est emmuré le peuple donne la sensation d’être tellement ancrée que l’auteur use de tous les outils oratoires pour nommer le plus justement possible l’horreur et la bizarrerie de cette situation.
∟Rappelons que la Boétie est un parlementaire qui instruit des affaires juridiques et la première chose en la matière est de déterminer le crime. Ou le chef d'accusation, quel qu'il soit, pour pouvoir en juger. L'originalité ici pour un locuteur qui ouvre son sujet est de solliciter tous les lecteurs (« nous »)… certainement pour les engager à prendre part au raisonnement.
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Pour mieux mettre en place cette bizarrerie, il me semble donc que l’auteur s'emploie à montrer les forces en présence… des forces finalement très déséquilibrées et qui seraient largement à l’avantage du peuple si ce dernier se donnait vraiment les moyens.
Quels outils concrets l’auteur utilise pour illustrer cela ?
Il va énumérer une série de faits posés comme des paradoxes grâce à la structure anaphorique « Non pas… Mais ». Cette construction permet alors d'opposer les éléments sous la forme d'antithèse après la formulation « non pas ». La Boétie énonce ainsi des principes qui auraient pu justifier le consentement à l'obéissance… pour immédiatement rétablir la vérité avec un « mais » qui souligne la folie de cette situation. On obtient ainsi des binômes comme « obéir, servir », « gouverner, tyranniser », « Armés, un seul », « Hercule, Sanson // hommeau… ». La dernière dénomination est d’autant plus ridicule qu’elle marque et étonne tout de suite avec son néologisme construit avec ce suffixe « eau » suivi d’une hyperbole (« le plus souvent le plus lâche et le plus efféminé de toute la nation").
Mais à quoi servent tous ces procédés ? Que mettent-ils en place ?
Ils montrent selon moi le caractère insensé de la situation explicitant de façon très claire le déséquilibre des forces en puissance : un tyran seul qui n’a de pouvoir que celui qu’on veut bien lui donner… et un peuple en grand nombre à qui il ne manquerait que la lucidité pour se réveiller et sortir de la torpeur. Peut-être est-ce d’ailleurs la raison pour laquelle La Boétie entrecroise des énumérations plus longues pour insister sur les dégâts non seulement terribles mais aussi désespérément universel de la servitude avec la gradation du mot « biens » et en allant jusqu’ à « vie ».
Face à de tels effets, le lecteur est en droit de se demander : mais jusqu’où le peuple sera-t-il prêt à aller pour ne pas se rendre compte de la servitude dans laquelle il s’est englué ?
2ème axe.
Pour le 2ème axe du texte, l’auteur va rendre l'état de servitude encore plus incroyable puisque le peuple continue à servir malgré la faiblesse objective du tyran qui devait pourtant rendre sa destitution extrêmement facile.
Quels sont les éléments tangibles me permettant d’affirmer de telles choses ?
Grâce à une anaphore, l'auteur ouvre et ferme son paragraphe dans une construction circulaire («Appellerons-nous cela de la lâcheté ? / Est-ce lâcheté ? ») et insiste ainsi encore plus sur l'hypothèse de la lâcheté de ce peuple qui aime être soumis. Cette hypothèse devient certitude lorsque l’on constate par la suite les qualificatifs dévalorisants formant le champ lexical de la couardise (avec « couard », « sans force » et « faute de courage »
Le parallélisme est d’autant plus frappant avec le 1er paragraphe car ce peuple manquant cruellement de courage donne le sentiment de ne pas valoir mieux que son propre tyran, déjà étiqueté plus haut comme l’homme « le plus souvent le plus lâche et le plus efféminé de toute la nation) !
Les gradations sont clairement là pour le montrer : «
Toute cette multitude immense d’hommes et de femmes assujettis ne s'oppose en fait qu’ à un seul être…. invalidant complètement l'excuse de l'infériorité numérique. En disant « qu’ils ne veulent point », on comprend donc peut-être mieux, à cet instant, l’antithèse du titre « servitude volontaire ».
Pourquoi ?
Parce que ce peuple qui préfère resté inactif serait pourtant doublement fondé à renverser le tyran : d'une part, parce qu'il est en capacité physique de le faire… et d'autre part parce qu'il serait légitime de mettre fin à une domination dont on ne peut espérer que horreur et désespoir. Les mots « servir » et « serf » montrent donc un peuple qui est ici montré comme consentant à son état d'esclavage. La question n’est pas de savoir s’il ose ou s’il veut vraiment la liberté. Pour La Boétie, le constat est sans appel : sa servitude est volontaire et délibérée.
Nous pouvons donc voir dans cette formulation une visée satirique… où l’auteur se plait aussi bien à déboulonner le socle de la statue des tyrans qu’à refuser de plaindre un peuple, finalement heureux du propre malheur qu’il s’est plu à construire. Ce renversement de valeur crée aussi sans nul doute une visée polémique puisque l’état d’esclavage est perçu comme choisi (et non subi). C’est là toute l’originalité de la démarche humaniste de La Boétie, avec ses deux paragraphes construits de manière ascendante, il montre également dans une visée didactique, qu’ il croit malgré tout en la dignité de l’homme et en sa liberté naturelle. En s’appuyant sur les Anciens (Hercule, Samson, etc.) pour nourrir son raisonnement, il joue aussi bien de la conviction et persuasion pour le pousser à réaliser sa situation, notamment en terminant son discours par une question… question auquel il ne répond pas !
En conclusion, ce passage souligne le caractère proprement incompréhensible de la situation : un tyran faible domine un peuple nombreux. Le premier axe a montré comment La Boétie ridiculise le tyran, le second comment il accuse le peuple d’aimer sa servitude. Ce passage constitue donc un moment décisif du raisonnement : dès l’ouverture du discours, le lecteur est confronté à l’idée choquante mais centrale que la servitude est volontaire. Pour prolonger cette réflexion, nous pouvons mettre en lien ce texte avec celui de La Fontaine : Le loup et le chien. La Boétie et La Fontaine abordent sous des formes différentes un même paradoxe : la tentation de préférer la sécurité à la liberté. Le premier en fait une dénonciation politique, le second une méditation morale ; mais tous deux rappellent que la vraie grandeur de l’homme réside dans le choix du risque de la liberté plutôt que dans le confort de l’asservissement.
