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Explication linéaire : Pour un oui ou pour un non, scène d'exposition (Sarraute)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

 

H.1. – Écoute, je voulais te demander… C’est un peu pour ça que je suis venu… je voudrais savoir… que s’est-il passé ? Qu’est-ce que tu as contre moi ?
H.2. – Mais rien… Pourquoi ?
H.1. – Oh, je ne sais pas… Il me semble que tu t’éloignes… tu ne fais plus jamais signe… il faut toujours que ce soit moi…
H.2. – Tu sais bien : je prends rarement l’initiative, j’ai peur de déranger.
H. 1. – Mais pas avec moi ? Tu sais que je te le dirais… Nous n’en sommes tout de même pas là… Non, je sens qu’il y a quelque chose…
H.2. – Mais que veux-tu qu’il y ait ?
H.1. – C’est justement ce que je me demande. J’ai beau chercher… jamais… depuis tant d’années… il n’y a jamais rien eu entre nous… rien dont je me souvienne…
H.2. – Moi, par contre, il y a des choses que je n’oublie pas. Tu as toujours été très chic… il y a eu des circonstances…
H.1. – Oh qu’est-ce que c’est ? Toi aussi, tu as toujours été parfait… un ami sûr… Tu te souviens comme on attendrissait ta mère ?…
H.2. – Oui, pauvre maman… Elle t’aimait bien… elle me disait : « Ah lui, au moins, c’est un vrai copain, tu pourras toujours compter sur lui. » C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs.
H.1. – Alors ?
H.2, hausse les épaules. – Alors… que veux-tu que je te dise !
H.1. – Si, dis-moi… je te connais trop bien : il y a quelque chose de changé… Tu étais toujours à une certaine distance… de tout le monde, du reste… mais maintenant avec moi… encore l’autre jour, au téléphone … tu étais à l’autre bout du monde… ça me fait de la peine, tu sais…
H.2, dans un élan. – Mais moi aussi, figure-toi…
H.I. – Ah tu vois, j’ai donc raison

 

Scène d’exposition, Pour un oui ou pour un non, N. Sarraute

INTRODUCTION

« Il me semble que tu t’éloignes… tu ne fais plus jamais signe » (Accroche)

C’est en ses termes que le personnage H1 évoque une potentielle brouille avec son ami H2… mais s’agit-il réellement d’une brouille ? Aurait-on là affaire à une simple petite mésentente ou à une éventuelle future rupture amicale ? A moins qu’il ne s’agisse d’un mal-être plus profond annonçant en filigrane la difficulté – l’impossibilité ? – de s’exprimer clairement par les mots dès lors que l’on a quelque chose de lourd et indéfinissable sur le cœur ? Nathalie Sarraute s’intéresse justement de très près au "sous-conversationnel", à ces mouvements imperceptibles de l’âme qui s’immiscent dans les dialogues. Publiée en 1982, Pour un oui ou pour un non s’inscrit dans la continuité des expérimentations littéraires du Nouveau Roman, mouvement auquel Sarraute est associée.  Pour un oui ou pour un non semble effectivement refléter un monde contemporain marqué par des questionnements sur la communication et l’authenticité des relations, à une époque où les années 1980 voient également un regain d’intérêt pour le théâtre de l’absurde. (Contextualisation)

Pour mettre en lumière tous ces points, nous articulerons ce texte en 4 axes. Le 1er axe, portera sur les lignes 1 à 5 afin de montrer des personnages en crise manquant totalement de repères. Le 2ème axe ira des lignes 5 à 8 pour évoquer une impression de gêne et de confusion. Le 3ème axe, lui, ira des lignes 8 à 16 et insistera sur une communication qui se dégrade à force d’approximations langagières. Quant au 4ème et dernier axe, il nous permettra de réfléchir aux limites du langage. (Découpage en axes)

EXPLICATION LINÉAIRE

H.1. – Écoute, je voulais te demander C’est un peu pour ça que je suis venu je voudrais savoir que s’est-il passé ? Qu’est-ce que tu as contre moi ?
H.2. – Mais rien Pourquoi ?
H.1. – Oh, je ne sais pas Il me semble que tu t’éloignes tu ne fais plus jamais signe il faut toujours que ce soit moi

Lignes 1-2-3-4-5

Dès les premières lignes l'impression que j'ai est d'avoir affaire à des personnages en crise manquant totalement de repères. (Impressions)

Quels sont les éléments concrets ne permettant d'affirmer de tels propos ?

Pour commencer, je constate une absence totale de didascalies et une pagination théâtrale qui laisse le lecteur traditionnel dans un certain désarroi. (Procédés) Pourquoi de tels propos ? Les personnages de ce début d'histoire se nomment effectivement H1et H2 et semblent complètement déshumanisés. (Exemples) Que comprendre d’une telle appellation ? S'agit-il, concernant les chiffres, d'un ordre d'apparition sur scène ? S'agit-il concernant le “H” de la mention “homme” ? Quelle que soit l'interprétation que l'on pourrait donner à cela, impossible ici de ne pas voir dans ces appellations un refus des normes traditionnelles... ou en tous les cas des choix d'écriture loin des conventions. Selon tout état de cause, les protagonistes, ici, se réduisent à leur plus simple expression... sans aucune précision. 

Est-il donc question de choquer, de brusquer ou de perdre, voire égarer le lecteur ? À ce stade de la pièce, impossible d'avoir pour le moment une opinion tranchée. On peut néanmoins se demander si cette absence de repères n'est justement pas là pour obliger le lecteur/spectateur à s'immerger dans une histoire, sans points de comparaisons possibles, nous obligeant ainsi à avancer à tâtons, comme semble déjà le faire des personnages. (Argumentation)

 Cette impression de perte de repères, (impression) je la retrouve également dans le premier mot « Ecoute » (exemple). Comment effectivement comprendre cette entrée en matière ? Est-ce que l'impératif (procédé) laisse ici sous-entendre une personne un peu dure aimant donner des ordres, à la limite du désagréable ? Ou bien pourrait-on voir au contraire ce verbe comme un mot vide et fourre-tout qui aurait perdu son sens et la force de son mode grammatical... traduisant autant la gêne que le plaisir ou encore le simple besoin de se laisser du temps ? (Argumentation)

(Comme quand on ne sait pas quoi dire et que les mots sont là pour uniquement combler du vide... ou comme quand, plus simplement, on se laisse du temps quand on cherche ses mots et les pensées qui vont avec !) 

Sur la question du mode, on notera également un véritable mélange des modes grammaticaux dans ces premières lignes (compilant pêle-mêle, en plus de l’impératif, l’indicatif avec « C’est un peu pour ça »), le subjonctif avec « Il me semble que tu t’éloignes ») et le conditionnel avec « je voudrais savoir ») qu’on peut légitimement douter de la clarté de ce dialogue commençant sous nos yeux.

On remarquera, enfin, que l’'impression de cette parole qui se délite/disloque est confirmée par les très nombreux « ... » ainsi que les très nombreux points d'interrogation (ex) ! 

Pourtant, dans les derniers instants de cette réplique, c'est l'option du conflit qui semble choisie par H1 avec l'expression « Qu'est-ce qui s'est passé ? Qu'est-ce que tu as contre moi ? »

La réponse de H2 est « Mais rien » mais ce « mais » peut dans ce contexte s'interpréter de différentes façons. 

a) ils peut s'interpréter dans un sens positif avec ce mot « rien »/pronom montrant précisément que H2 ne voit pas concrètement ce qu’il peut reprocher à son ami.

b) ils peut aussi s'interpréter dans un sens plus négatif car ce « mais » (connecteur logique à valeur d'opposition) montre justement une opposition ou une volonté farouche de se démarquer de ce que vient d'être dit. Les 3 points de suspension qui suivent, d'ailleurs, laissent aussi suggérer que le personnage h 2 s'interrompt pour nuancer son propos et éventuellement par la suite lui confier des reproches ! 

[Notons pour finir que ce mot « rien » relève largement de la polysémie. Comme le rappelle son étymologie, ce terme « rien » signifiait à la base « res » que l'on pourrait traduire par « la chose » ... et il a fini par la suite par signifier « le vide », le néant... soit le contraire de de ce qu'il signifie au départ ! Ainsi, quand H2 dit « mais rien », on peut naturellement se demander si ce « rien » ne signifie vraiment « rien » ou bien justement au contraire un petit quelque chose qu'il n'oserait pas encore s'avouer ! ]

 

H.1. – Oh, je ne sais pas Il me semble que tu t’éloignes tu ne fais plus jamais signe il faut toujours que ce soit moi

H.2. – Tu sais bien : je prends rarement l’initiative, j’ai peur de déranger.

H. 1. – Mais pas avec moi ? Tu sais que je te le dirais Nous n’en sommes tout de même pas Non, je sens qu’il y a quelque chose

Lignes 4-5-6-7-8

Dans les lignes 5 6 et 7, impossible de ne pas voir, notamment par la confirmation des points de suspension, cette impression de gêne et de confusion que l’on vient d’évoquer.  Cette confusion je peux aussi l'avoir dans différents autres procédés qui suivent : 

  • À travers l'antithèse entre les mots “jamais” et “toujours” dans la phrase “tu ne me fais plus jamais signe il faut toujours que ce soit moi” 

  • À travers l'énumération de négations que je peux voir dans les phrases “tu ne fais plus jamais signe”, “mais pas avec moi”, “nous n'en sommes tout de même pas là”, “non je sens...” 

  • L’emploi répété du pronom “il” qui peut se voir comme un pronom impersonnel et ne montrant pas clairement qui prend vraiment l'initiative dans la situation d'énonciation : (“il me semble”, “il faut toujours”)... 

 

Notons enfin que les expressions comme “avoir peur de déranger”, “prendre l'initiative” relèvent plus de mots fourre-tout, voulant tout et ne rien dire que de véritables raisons quant à l'éloignement. De ces remarques, nous aurions ainsi plus à faire à ces fameux “tropismes “chers à Nathalie Sarraute... des tropismes montrant une pensée naviguant constamment entre les profondeurs inconscientes et les rivages du conscient. Dans cet entre-deux, les expressions que nous venons d’évoquer pourraient alors se percevoir comme des termes vagues dont le sens – les sens – nous échapperaient au même moment où ils se prononcent. 

H. 1. – Mais pas avec moi ? Tu sais que je te le dirais Nous n’en sommes tout de même pas Non, je sens qu’il y a quelque chose

H.2. – Mais que veux-tu qu’il y ait ?

H.1. – C’est justement ce que je me demande. J’ai beau chercher jamais depuis tant d’années il n’y a jamais rien eu entre nous rien dont je me souvienne

H.2. – Moi, par contre, il y a des choses que je n’oublie pas. Tu as toujours été très chic il y a eu des circonstances

H.1. – Oh qu’est-ce que c’est ? Toi aussi, tu as toujours été parfait un ami sûr Tu te souviens comme on attendrissait ta mère ?

H.2. – Oui, pauvre maman Elle t’aimait bien elle me disait : « Ah lui, au moins, c’est un vrai copain, tu pourras toujours compter sur lui. » C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs.

Lignes 8-16 

Dans les lignes qui suivent, l’impression que j’ai est d’avoir affaire à une communication qui se dégrade à force d’approximations langagières…

Tous ces mots hybrides/fourre-tout, précédemment évoqués dans l’axe qui précède et dont le sens est élastique selon les sensibilités et le contexte, je les retrouve dans des expressions comme :  

  • je te le dirai” (quel est exactement ce pronom “le” ? Que signifie-t-il ? Nous ne le saurons pas...) 

  • nous n'en sommes tout de même pas ” (Que signifie lui aussi cet adverbe “” ? A quoi renvoie-t-il ? A un endroit physique ? Psychique ? Et si oui, lequel exactement ?) 

  • il y aquelque chose" (le nom commun “quelque chose” sans déterminant pose également question. Quel est ce fameux “quelque chose” ?) 

 

A travers ces “le”, “”, “quelque chose”... nous n’avons là que des termes qui finalement ne veulent rien dire ou qui - en tous les cas - peuvent s'interpréter de tellement de façons qu'ils donnent le sentiment d'être interchangeables... comme les 2 personnages !

Cette impression d'interchangeabilité, je la retrouve dans :  

  • Des expressions qui se font constamment écho (“tu sais bien”ligne 8 fait écho à “tu sais que” ligne 10 // “Mais « rien  », ligne 4 fait écho quant à lui à « il n’y a jamais “rien” », lignes 15/16... 

  • Des antithèses renvoyant dos à dos les compliments et les reproches sans que l’on ne comprenne très bien où commencent les uns et où s’arrêtent les autres (« Moi, par contre, [impressions négatives] il y a des choses que je n’oublie pas [impressions négatives]. Tu as toujours été très chic [impressions positives].

  • Les caractéristiques grammaticales de chacun gangrenées par les "..."  et les points d'interrogation. (???)  

 

En plus d’une pensée qui se cherche et qui tâtonne, il semblerait bien que nos personnages se cherchent tout autant, peinant à se différencier et ayant également le plus grand mal à statuer sur la teneur exacte de leur relation. S'agit-il d'amis ? d'anciens amis ? Avons-nous ici une crise salutaire pour mieux se remettre en question ou a-t-on plutôt affaire à une crise fatale qui perdra absolument tout le monde ? 

Cette ère de soupçon confirme bien selon moi cette pensée propre au « nouveau roman » au sein duquel Nathalie Sarraute est largement associée. Dans une époque en crise, ces personnages - comme les lecteurs/spectateurs-   allégorisent peut-être la difficulté - l'impossibilité ? - de comprendre l’autre et de s’identifier clairement soi-même comme individualité. 

Lignes 16-25

H.2. – Oui, pauvre maman Elle t’aimait bien elle me disait : « Ah lui, au moins, c’est un vrai copain, tu pourras toujours compter sur lui. » C’est ce que j’ai fait, d’ailleurs.
H.1. – Alors ?

H.2, hausse les épaules. – Alors que veux-tu que je te dise !

 H.1. – Si, dis-moi je te connais trop bien : il y a quelque chose de changé Tu étais toujours à une certaine distance de tout le monde, du reste mais maintenant avec moi encore l’autre jour, au téléphone tu étais à l’autre bout du monde ça me fait de la peine, tu sais
H.2, dans un élan. – Mais moi aussi, figure-toi…

 H.I. – Ah tu vois, j’ai donc raison

Dans les dernières lignes, il me semble que le dialogue de deux personnages soit réduit au surplace.  Sur quels critères objectifs puis-je affirmer cela ? Je vois au moins trois points me permettant de l’affirmer.

  • L'énumération et la surmultiplication de points de suspension gangrénant et hachant tout le discours.

  • L’évocation de la mère, du vrai copain ne donne pas lieu à un approfondissement de la part de h1 (« Alors ? ». H2 lui-même semble réduit au statisme avec les 1ères didascalies qui sont là pour montrer clairement son impuissance à rebondir et à faire la conversation (« que veux-tu que je te dise ?  »).

 

Pire.

  • Lorsque H1 dit « il y a quelque chose de changé », ses propos semblent être un lointain parallélisme, comme une anaphore ,à l’expression « il y a quelque chose  », ligne 12… comme si l’échange, ici, se réduisait à faire du surplace. Néanmoins, le lecteur peut aussi sentir que cet immobilisme dans lequel s’engluent les personnages n’est pas loin d’un certain point de rupture… comme le suggère la gradation «certaine distance» et ensuite « autre bout du monde ». S’agit-il là de nous montrer, au-delà de cet apparent statisme, l’effacement progressif de l’amitié, réelle ou supposée de H1 et H2 ?

 

Comment interpréter ce langage qui s’enlise/s’embourbe ?

Nos personnages, en proie à leur manque de repères, tant individuels que collectifs, conversent-ils à l’aveugle pour mieux chercher leurs mots ainsi que leurs pensées ? Mais savent-ils au moins ce qu’ils pensent vraiment ? Les mots, sont-ils là pour combler du vide ou pour mieux préparer une pensée qu’ils ont eux-mêmes tant de mal à bâtir ? Toutes ces réflexions, selon moi, marquent l’empreinte d’une auteure qui a à cœur de nous révéler nos incertitudes. Les personnages seraient donc ainsi des allégories : l’allégorie d’un monde où toute pensée est instable et mouvante et où la parole serait tout autant un frein qu’un levier pour faire avancer la situation. Selon nos ressentis de lecteur/spectateur, la pièce pourrait ainsi tout aussi bien naviguer entre le registre comique (comique de geste et caractères mettant en évidence des personnages risibles de par leur incapacité à s’exprimer clairement sur quelque chose qui semble dérisoire) et/ou pathétique (de par la souffrance à ne pas pouvoir mettre clairement des mots sur un mal-être indéfinissable).

Pour conclure, nous avons donc vu un texte théâtral avec des personnages en crise manquant totalement de repères. Le 2ème axe a largement confirmé cette perte par cette impression de gêne et de confusion. Le 3ème axe a insisté pour sa part sur une communication qui se dégradait à force d’approximations langagières. Quant au 4ème et dernier axe, il nous a permis de réfléchir aux limites du langage suite à une communication entre les deux personnages qui se dégrade de plus en plus à force d’approximations langagières… (synthèse des axes)

Cette réflexion sur l’incommunicabilité trouve un écho puissant dans Juste la fin du monde de Jean-Luc Lagarce. Là encore, le langage est au centre d’un drame intime, où les mots ne parviennent pas à transmettre les émotions et où les malentendus aggravent les tensions familiales. Les silences de Sarraute, tout comme les dialogues hachés et les monologues de Lagarce, montrent que l’impossibilité de dire, ou de se faire entendre, est une source inépuisable de conflit. Mais là où Sarraute explore de façon froide et clinique les limites du langage, Lagarce s’ancre plutôt pour sa part dans un drame familial intime, chargé d’émotions. Au-delà de ces deux pièces, Pour un oui ou pour un non invite selon moi à une réflexion plus large sur notre rapport au langage dans nos sociétés contemporaines. Alors que les outils de communication se multiplient à une vitesse vertigineuse, les malentendus et les conflits liés à une interprétation biaisée des mots semblent se perpétuer, voire s’accentuer. Peut-on encore espérer, face à ces limites inhérentes à la communication, qu’un véritable dialogue, transparent et universel, soit possible ?

TEXTE
Introdution
Explication linaire
Conclusion
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