top of page

Acerca de

La Peau de chagrin, (1831, H. de Balzac), la Peau de chagrin à l'épreuve de la science)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

 

— Un morceau ! s’écria Raphaël, pas seulement la valeur d’un cheveu. D’ailleurs essayez, dit-il d’un air tout à la fois triste et goguenard.

Le savant cassa un rasoir en voulant entamer la peau, il tenta de la briser par une forte décharge d’électricité, puis il la soumit à l’action de la pile voltaïque, enfin les foudres de sa science échouèrent sur le terrible talisman. Il était sept heures du soir. Planchette, Japhet et Raphaël, ne s’apercevant pas de la fuite du temps, attendaient le résultat d’une dernière expérience. Le chagrin sortit victorieux d’un épouvantable choc auquel il avait été soumis, grâce à une quantité raisonnable de chlorure d’azote.

— Je suis perdu ! s’écria Raphaël. Dieu est là. Je vais mourir. Il laissa les deux savants stupéfaits.

— Gardons-nous bien de raconter cette aventure à l’Académie, nos collègues s’y moqueraient de nous, dit Planchette au chimiste après une longue pause pendant laquelle ils se regardèrent sans oser se communiquer leurs pensées.

Ils étaient comme des chrétiens sortant de leurs tombes sans trouver un Dieu dans le ciel. La science ? impuissante ! Les acides ? eau claire ! La potasse rouge ? déshonorée ! La pile voltaïque et la foudre ? deux bilboquets !

— Une presse hydraulique fendue comme une mouillette ! ajouta Planchette.

— Je crois au diable, dit le baron Japhet après un moment de silence.

— Et moi à Dieu, répondit Planchette.

Tous deux étaient dans leur rôle. Pour un mécanicien, l’univers est une machine qui veut un ouvrier ; pour la chimie, cette œuvre d’un démon qui va décomposant tout, le monde est un gaz doué de mouvement.

— Nous ne pouvons pas nier le fait, reprit le chimiste.

— Bah ! pour nous consoler, messieurs les doctrinaires ont créé ce nébuleux axiome : Bête comme un fait.

— Ton axiome, répliqua le chimiste, me semble, à moi, fait comme une bête.

Ils se prirent à rire, et dînèrent en gens qui ne voyaient plus qu’un phénomène dans un miracle.

INTRODUCTION

​

« La science ? impuissante ! Les acides ? eau claire ! La potasse rouge ? déshonorée ! La pile voltaïque et la foudre ? deux bilboquets ! » (Accroche)

​

C’est en ses termes que le narrateur semble confirmer l’impuissance de la science à expliquer… l’inexplicable ! Que cherche-t-il donc à nous montrer dans cet extrait ? Que la raison – fut-elle scientifique – ne suffit pas, à elle seule, pour comprendre le monde ? Que le monde ne se limite pas aux réalités tangibles et concrètes qui nous entourent ? Ou bien, loin de critiquer la science en elle-même, le narrateur – et derrière lui Balzac – ne critiquerait-il pas les scientifiques eux-mêmes… incapables d’admettre un miracle, dépassant le cadre de la raison ? A moins qu’il ne critique plus ouvertement Raphaël, possédé par cette peau qui dépasse son entendement…

​

Ce roman paru en 1831 viendra largement confirmer le succès de Balzac en tant que romancier empruntant ce que les spécialistes appelleront plus tard « le réalisme fantastique ». Aurait-on donc ainsi affaire à une histoire nous faisant réfléchir sur le désir et la passion ? Balzac lui-même définissait son œuvre comme « une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est prise avec le Désir, principe de toute passion ».

 

[Contextualisation]  

         

Pour une meilleure fluidité dans mon explication, je découperai le texte en 2 axes :

  1. De la ligne 1 à 9, nous verrons un texte à la croisée des registres

  2. De la ligne 9 à 25, nous verrons une réflexion critique sur la science et plus largement les scientifiques !

 

[Découpage]

​

​

EXPLICATION LINEAIRE

​

— Un morceau ! s’écria Raphaël, pas seulement la valeur d’un cheveu. D’ailleurs essayez, dit-il d’un air tout à la fois triste et goguenard.

Le savant cassa un rasoir en voulant entamer la peau, il tenta de la briser par une forte décharge d’électricité, puis il la soumit à l’action de la pile voltaïque, enfin les foudres de sa science échouèrent sur le terrible talisman. Il était sept heures du soir. Planchette, Japhet et Raphaël, ne s’apercevant pas de la fuite du temps, attendaient le résultat d’une dernière expérience. Le chagrin sortit victorieux d’un épouvantable choc auquel il avait été soumis, grâce à une quantité raisonnable de chlorure d’azote.

Je suis perdu ! s’écria Raphaël. Dieu est là. Je vais mourir. Il laissa les deux savants stupéfaits.

​

Dès les premières lignes, il me semble avoir affaire à un texte riche et dense, à la croisée des registres.

(Impressions)

Dans les lignes 1 et deux, je repère effectivement une antithèse.

(Procédés)

Cette antithèse, visible dans l’expression « tout à la fois triste et goguenard », montre d’emblée la dualité du personnage.

 

(Exemples)

​

Dans le passage qui suit, je constate aussi un champ lexical antithétique entre les sciences (visibles dans les termes « Le savant », « décharge d’électricité », « l’action de la pile voltaïque », « les foudres de sa science », « le résultat d’une dernière expérience », «  quantité raisonnable de chlorure d’azote »)  mais aussi la spiritualité (visibles à travers les termes comme « talisman »).

Le brassage entre ces deux thématiques va ainsi créer selon moi le début d’un registre fantastique. Ce registre fantastique, d’ailleurs, va lui-même se confronter à un autre registre dans la dernière ligne : le registre tragique, très largement repérable dans la phrase « Je suis perdu ! s’écria Raphaël. Dieu est là. Je vais mourir. »

​

Pourquoi un tel brassage ? Mon hypothèse est la suivante :

En adoptant ce « réalisme fantastique », l’auteur interroge/questionne le quotidien/la réalité de ces personnages et peut ainsi mieux réfléchir sur la place à accorder à la science et à la spiritualité imprégnant son époque.

 

 (Argumentation)

​

Dans le deuxième axe, il me semble que le mélange des registres est prétexte à nourrir une réflexion satirique sur la place de la science dans le quotidien.

 

« — Gardons-nous bien de raconter cette aventure à l’Académie, nos collègues s’y moqueraient de nous, dit Planchette au chimiste après une longue pause pendant laquelle ils se regardèrent sans oser se communiquer leurs pensées. »

​

Dans les lignes 9-10-11, impossible de ne pas voir une dimension argumentative dans cet extrait en analysant la réaction des scientifiques.  Face au défi scientifique que lance la peau de chagrin, Japhet et Planchette préfèrent effectivement le silence par peur des moqueries. Il ne s’agirait donc plus pour ce type de science défendu par Japhet et Planchette, d’analyser objectivement le réel mais plutôt de décrédibiliser ce dernier sous prétexte qu’il semble magique…

[…]

« Ils étaient comme des chrétiens sortant de leurs tombes sans trouver un Dieu dans le ciel. La science ? impuissante ! Les acides ? eau claire ! La potasse rouge ? déshonorée ! La pile voltaïque et la foudre ? deux bilboquets !

— Une presse hydraulique fendue comme une mouillette ! ajouta Planchette. »

​

Les limites de cette science, du reste, me semblent mises en lumière par l’énumération et le parallélisme des phrases non verbales suivantesLa science ? impuissante ! Les acides ? eau claire ! La potasse rouge ? déshonorée ! La pile voltaïque et la foudre ? deux bilboquets ! ») .

Les deux comparaisons « comme des chrétiens sortant de leurs tombes sans trouver un Dieu dans le ciel » et « fendue comme une mouillette », plutôt péjoratives, achèvent définitivement cette impression.

​

Mais alors… que critique donc vraiment le narrateur dans ce type de science ?

 

« — Je crois au diable, dit le baron Japhet après un moment de silence.

— Et moi à Dieu, répondit Planchette.

Tous deux étaient dans leur rôle. Pour un mécanicien, l’univers est une machine qui veut un ouvrier ; pour la chimie, cette œuvre d’un démon qui va décomposant tout, le monde est un gaz doué de mouvement.

— Nous ne pouvons pas nier le fait, reprit le chimiste.

— Bah ! pour nous consoler, messieurs les doctrinaires ont créé ce nébuleux axiome : Bête comme un fait.

— Ton axiome, répliqua le chimiste, me semble, à moi, fait comme une bête.

Ils se prirent à rire, et dînèrent en gens qui ne voyaient plus qu’un phénomène dans un miracle. »

 

Dans l’extrait : « — Je crois au diable, dit le baron Japhet […] — Et moi à Dieu, répondit Planchette. », l’antithèse et la structure en chiasme des réparties montrent toutes les contradictions des deux scientifiques. De façon implicite, il serait donc tout à fait possible de voir de la part du narrateur un reproche de la part de ces gens critiquant le refus du magique.  Cette manière de décrédibiliser ainsi tout ce qui est irrationnel se retrouve dans les deux métaphores péjoratives évoquant l’univers :

« Pour un mécanicien, l’univers est une machine qui veut un ouvrier ; pour la chimie, cette œuvre d’un démon qui va décomposant tout, le monde est un gaz doué de mouvement. »

Dans les deux cas, l’univers est réifié/chosifié (« l’univers est une machine »), voire diabolisé (« cette œuvre d’un démon ») ! Le religieux est ainsi mis au second plan, voire carrément supprimé !

Plus qu’un regret, il s’agit sans nul doute ici de la part de l’auteur de critiquer celles et ceux qui, derrière une posture soi-disant scientifique, banalisent un miracle, qui est pourtant juste sous leurs yeux… comme le confirme l’intrusion du narrateur dans la dernière ligne avouant – explicitement cette fois- ce qui vient réellement de se produire :  "Ils se prirent à rire, et dînèrent en gens qui ne voyaient plus qu’un phénomène dans un miracle. »

​

CONCLUSION

​

Pour conclure, nous avons donc vu que ce texte, à la croisée des registres tragique et fantastique, était surtout prétexte à mieux nous faire réfléchir sur les pouvoirs et les limites de la raison… ici incarnée par les deux scientifiques Japhet et Planchette. Entre réalisme et fantastique, Balzac repousse encore plus les frontières entre le merveilleux qu’incarne cette peau de chagrin et le réalisme dans la description haute en couleurs qu’il donne de ses personnages.

Cette manière d’appréhender le réalisme pourrait se comparer à celle de Gustave Flaubert, autre théoricien du réalisme. Mais là où Balzac sonde les tréfonds de la psyché humaine en utilisant une sorte de réalisme fantastique, l’auteur de Madame Bovary, lui, critique ces passions par un réalisme ironique en se moquant des ambitions démesurées et ridicules de ses personnages. On peut dès lors se demander la réelle place qu’il faudrait accorder à ses désirs pour retrouver une certaine sérénité. Si, comme le dit le narrateur, « le bonheur engloutit nos forces, comme le malheur éteint nos vertus », comment trouver un véritable équilibre entre ces deux sentiments ?

​

TEXTE
Introdution
Explication linaire
Conclusion
bottom of page