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Explication linéaire : Phédon / Les Caractères
(La Bruyère)

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre ; il dort peu, et d’un sommeil fort léger ; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide : il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui sont connus ; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement ; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits services. // Il est complaisant, flatteur, empressé ; il est mystérieux sur ses affaires, quelquefois menteur ; il est superstitieux, scrupuleux, timide. Il marche doucement et légèrement, il semble craindre de fouler la terre ; il marche les yeux baissés, et il n’ose les lever sur ceux qui passent. Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir ; il se met derrière celui qui parle, recueille furtivement ce qui se dit, et il se retire si on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place ; il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur ses yeux pour n’être point vu ; il se replie et se renferme dans son manteau ; il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort, et de se couler sans être aperçu. // Si on le prie de s’asseoir, il se met à peine sur le bord d’un siège ; il parle bas dans la conversation, et il articule mal ; libre néanmoins sur les affaires publiques, chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. Il n’ouvre la bouche que pour répondre ; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie : il n’en coûte à personne ni salut ni compliment.  Il est pauvre.

                         Phédon, « Des Biens de fortune », Les Caractères (VI, 83), La Bruyère

 

INTRODUCTION

« les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre »

C’est en ses termes peu flatteurs que le narrateur décrit Phédon, un être misérable… dont on comprendra vite que l’aspect physique est à l’image de son portrait moral. Le point de vue dévalorisant posé sur cet homme serait donc a priori péjoratif mais il se nuance par celui – plus global – de la société, toujours prompte à marginaliser et mettre de côté celles et ceux -comme Phédon justement - ne répondant pas suffisamment aux codes exigés du paraître. Publié pour la première fois en 1688 par Jean de La Bruyère, Les Caractères est une œuvre atypique, reflétant dans des portraits tout à la fois féroces et sans concession, un miroir déformant des vices d’une société se complaisant trop souvent au jeu factice et un peu vain de la comédie humaine. Le portrait qui nous intéresse dans cette étude est celui de Phédon, un être a priori ridicule… condamné à se conformer pathétiquement aux regards des autres… indifférents aux gesticulations du bonhomme tant ce dernier n’aurait pas les codes, l’argent -et peut-être même l’intelligence – pour bien paraître en société.

Pour une meilleure fluidité dans mon explication, je découperai le texte en 3 axes :

 

  1. De «  » jusqu’à «  », nous pourrons voir un portrait pathétique faisant de Phédon une victime et un incompris d’une société qui juge et qui exclut.

  2. De «  » jusqu’à « se couler sans être aperçu » nous verrons plutôt un portrait misérable de ce même personnage que la pauvreté a rendu ridicule.

  3. De «  » jusqu’à la fin, nous verrons toute l’ambiguïté de ce personnage que le moraliste pousse à son comble pour mieux nous faire réfléchir sur le regard que nous portons sur ces êtres comme Phédon… un personnage qui a aussi été poussé au ridicule, qu’il soit réel ou supposé, par les riches et puissants de cette société, toujours prompte à marginaliser.

EXPLICATION LINÉAIRE

Dès les premières lignes, l’impression qui semble se dégager du texte est ce portrait pathétique faisant de Phédon une victime et un incompris d’une société qui juge et qui exclut.

 

Sur quels critères puis-je affirmer cela ?

 

Il me semble que les énumérations en « il », le champ lexical de la laideur… sans oublier quelques antithèses participent à confirmer cette sensation.

 

Les énumérations en « il », donnent effectivement un double sentiment :

  • Celui « d’exclure » le personnage, comme s’il était toujours en dehors du cercle à l’intérieur duquel, nous le verrons, il aimerait tant participer.

  • Celui de réduire Phédon à une liste d’actions, de faits et de gestes, comme si ce dernier se limitait à ses actes. Serait-ce déjà là une manière à peine voilée de critiquer cette société qui ne juge que sur le paraître ? Nous aurons l’occasion d’y revenir…

 

Ces « il », je peux les voir dans des formules comme : (ex). Les énumérations de la 1ère phrase (« les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre »), quant à elles, concourent également à rabaisser ce personnage avec toutes ses multiples disgrâces physiques.  Quant aux antithèses avoir de l’esprit » combiné à « stupide », le terme « oublie », combiné au verbe « sait »), elles contribuent définitivement, selon moi, à faire de Phédon un personnage tiraillé, jamais en phase entre ce qu’il pense et ce qu’il dit, ce qu’il est et ce qu’il veut bien montrer dans son paraître…

 

"Phédon a les yeux creux, le teint échauffé, le corps sec et le visage maigre ; il dort peu, et d’un sommeil fort léger ; il est abstrait, rêveur, et il a avec de l’esprit l’air d’un stupide : il oublie de dire ce qu’il sait, ou de parler d’événements qui lui sont connus ; et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, il croit peser à ceux à qui il parle, il conte brièvement, mais froidement ; il ne se fait pas écouter, il ne fait point rire. Il applaudit, il sourit à ce que les autres lui disent, il est de leur avis ; il court, il vole pour leur rendre de petits services. "

 

Pourquoi de tels effets ?

 

A mon avis, le narrateur crée tous ces contrastes pour ne pas faire de Phédon une simple caricature mais un personnage tout en nuances dans lequel chaque lecteur pourra plus ou moins se retrouver. Ces contrastes antithétiques, je les retrouve également dans des formulations comme : « et s’il le fait quelquefois, il s’en tire mal, […] il conte brièvement, mais froidement ; »

 

Phédon ne serait donc pas un être univoque mais bel et bien un personnage complexe dont on ne saurait trop dire, pour le moment, s’il est touchant par sa gaucherie ou tout simplement pitoyable dans son incapacité à s’intégrer avec les autres…

Dans le deuxième axe, il me semble que le narrateur se plait à brosser un portrait misérable de ce même personnage que la pauvreté a rendu ridicule.

 

Le champ lexical des défauts se fait effectivement de plus en plus explicite (« complaisant, flatteur, empressé ; […] menteur ; il est superstitieux, scrupuleux ») … un champ lexical d’autant plus fort qu’il semble être lié à un autre : celui de la négation, que je peux retrouver dans les termes suivants :

 

« n’ose les lever sur ceux qui passent. Il n’est jamais du nombre de ceux qui forment un cercle pour discourir […]. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place […] pour n’être point vu ; […] il n’y a point de rues ni de galeries si embarrassées et si remplies de monde, où il ne trouve moyen de passer sans effort »

 

Ces énumérations de négation mettent en valeur selon moi le côté effacé du personnage, incapable de s’insérer et, comme on l’a dit, de trouver sa place.

 

Elles montrent surtout la difficulté de cet être à s’intégrer tant l’infériorité qu’il affiche vis-à-vis des autres l’amène à devenir transparent, voire invisible, dans le regard de son entourage… Cette invisibilité, je peux la voir dans des termes comme :

 

« n’ose les lever sur ceux qui passent […] il se met derrière celui qui parle, […] il se retire si on le regarde. Il n’occupe point de lieu, il ne tient point de place ; […] pour n’être point vu ; il se replie et se renferme dans son manteau ; […] se couler sans être aperçu »

 

Cette transparence, là encore, pourrait être vue par le lecteur de différentes façons dans son approche des registres : est-elle pathétique et pitoyable ou bien drôle et mordante dans le comique et la satire ? Ou encore les deux ?

 

Dans un 3ème et dernier axe, je sens une certaine ambiguïté chez ce personnage que le moraliste pousse à son comble pour mieux nous faire réfléchir sur le regard que nous portons sur ces êtres comme Phédon… un personnage qui a aussi été poussé au ridicule, qu’il soit réel ou supposé, par les riches et puissants de cette société, toujours prompts à marginaliser.

 

Sur quels critères puis-je affirmer cela ?

 

Le registre pathétique qu’inspire Phédon ne vient pas, selon moi, uniquement de son côté pitoyable avec tous ces misérables défauts… il vient aussi des qualités qu’il aurait pu déployer si celles et ceux qui le côtoyaient avaient su voir en lui au-delà des apparences. Cette impression, je peux l’expliciter dans la tournure antithétique de la phrase : « libre néanmoins sur les affaires publiques, [sous-entendu : il peut parler librement en ne se trouvant pas dépendant d’un puissant qu’il faudrait courtiser] chagrin contre le siècle, médiocrement prévenu des ministres et du ministère. [Sous-entendu : marginalisé par ces puissants et autres gens de pouvoir, incapables de voir autre chose en lui que sa condition sociale] »

 

C’est là tout le drame de ce Phédon, piégé par son paraître, un paraître qui facilite les critiques et les moqueries. Des moqueries que je sens jusque dans les assonances en « ou/on/au/en » et les allitérations en « ch » et « s », transformant les phrases qui le décrivent totalement en ridicule (ex).

 

« . Il n’ouvre la bouche que pour répondre ; il tousse, il se mouche sous son chapeau, il crache presque sur soi, et il attend qu’il soit seul pour éternuer, ou, si cela lui arrive, c’est à l’insu de la compagnie :

 

Pourquoi de telles moqueries à l’instant même où le narrateur reconnaissait en Phédon quelques appréciables qualités ? Sans doute pour mieux « cueillir » son lecteur dans l’approche de la dernière phrase. Une dernière phrase d’autant plus forte que le narrateur joue clairement la rupture de ton. L’avant-dernière phrase était longue (multipliant les virgules, les points-virgules et les figures de style) … la dernière, elle, est courte et lapidaire :

 

« […] il n’en coûte à personne ni salut ni compliment.  Il est pauvre. »

 

Le tranchant de cette dernière phrase « claque » ainsi comme un rappel à l’ordre pour le lecteur qui s’était sans doute lui aussi laissé guider par facilité aux premières émotions que lui inspirait Phédon… avant de réaliser qu’il se moquait d’un pauvre… non pas parce qu’il était idiot mais parce qu’il n’avait pas les codes – et encore moins l’argent - pour mieux paraître en société. Cette prise de conscience, forcément, interpelle et nous interroge. Car qu’est-ce qui est le plus pathétique ? : voir un personnage qui ne parviendra jamais à s’intégrer dans le cercle auquel il aimerait tant appartenir ? Ou bien se moquer de ce même personnage en sachant qu’il n’aura ni le courage et encore moins les armes pour se défendre ?

 

De ce constat, le lecteur réalise que Phédon est peut-être tout à la fois bourreau et victime :

  • Bourreau de son propre malheur, aveuglé par une reconnaissance qu’il n’obtiendra jamais et qui l’obligera à développer les pires défauts pour se compromettre…

  • Victime d’une société, incapable de voir au-delà de ses premières impressions, aveuglée par le paraître.

 

De ces remarques, ce personnage et son entourage deviendraient donc pour moi une allégorie dans laquelle, encore aujourd’hui, chacun pourrait s’identifier. En Phédon, nous pouvons deviner l’allégorie de celui ou celle qui ne saura jamais trouver le bon ton, la bonne phrase ou le bon geste parce que sa misérable condition l’empêchera toujours d’accéder à la reconnaissance tant désirée. Pour l’entourage de ce dernier, nous pouvons voir l’allégorie de ces gens formatant constamment les autres dans des étiquettes.

 

On n’en comprend que mieux l’héritage classique de La Bruyère, toujours là pour nous montrer des portraits pour mieux nous tendre le miroir déformant de nos propres défauts… qu’un appel à la raison saura nuancer, corriger ou, tôt ou tard, faire disparaitre§

 

Cette impasse dans laquelle Phédon semble emmurée donne à ce texte une triple visée : une visée didactique (par un état des lieux clinique et sans appel concernant les inégalités sociales agitant la société de l’époque), une visée satirique (à travers les défauts de Phédon mais aussi de son entourage, incapables de partager et de se comprendre mutuellement). Mais la visée est aussi – et surtout – polémique puisqu’elle montre avec force une société cloisonnée et pyramidale, ne laissant aucune chance à celle et ceux, comme Phédon, qui n’aurait pas dès la naissance les bons outils indispensables pour briller en société.

CONCLUSION

 

Pour conclure, nous avons donc vu que ce texte brossait le portrait d’un être misérable, incapable de se faire voir et/ou de se faire entendre… tant par sa propre maladresse que par son entourage, lui aussi emmuré dans des codes sociaux ne glorifiant que paraître et le superficiel. C’est là toute la force de portrait, critiquant aussi bien Phédon – trop maladroit et sans doute aussi trop aveuglé dans ses désirs de reconnaissance – que les autres pour qui, malheureusement, l’habit semble faire le moine. Autant de constats me permettant de faire le lien avec une autre œuvre, en l’occurrence ici un tableau de Vladimir Makovsky intitulé « La visite des pauvres ». Un tableau riche d’enseignements montrant, comme dans le portrait que dresse Labruyère, tout l’écart séparant les personnes riches des personnes dans le besoin. Si les premiers, dans le tableau, sont visiblement là dans un but caritatif, on ne peut que percevoir dans le regard de la femme riche le manque d’empathie et de compassion à l’égard de cette pauvre famille… comme si le fossé social qui les séparait était tellement grand qu’aucun dialogue ne pouvait être vraiment possible…

 

On peut dès lors se demander si cette incommunicabilité entre ces deux classes sociales est une réelle fatalité ou bien une pure méconnaissance des deux mondes de chacun que ce genre de texte ou de tableau permettrait justement de combler.

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