
Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
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Explication linéaire : Pour un oui ou pour un non (Sarraute), scène avec H3 et F1.
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
LE TEXTE
Sort et revient avec un couple.
H1 : Voilà... je vous présente... Je vous en prie... cela ne vous prendra pas longtemps... il y a entre nous un différend...
Eux : Oh, mais nous, vous savez, nous n'avons aucune compétence.
H. 2 : Si, Si, vous en avez… Plus qu'il n'en faut. Voilà de quoi il s'agit. Mon ami, là, un ami de toujours...
F.1 : C'est lui dont vous m'avez souvent parlé ? Je me rappelle... quand il a été souffrant... vous étiez si inquiet...
H. 2 : Oui, c'est lui... Et c'est pour ça justement que ça me fait tant de peine.
F.1 : Ne me dites pas qu'entre vous... après tant d'amitié... vous m'avez toujours dit qu'il a été, à votre égard...
H. 2 : Oui, parfait. Je lui en suis reconnaissant.
F.1 : Alors pourquoi ?
H. 1 : Eh bien, je vais vous le dire : je lui ai, paraît-il, parlé sur un ton condescendant...
H. 2 : Pourquoi le dis-tu comme ça ? Avec cette ironie ? Tu ne veux plus faire l'essai ?
H. 1 : Mais si mais si... Je le dis sérieusement. Je l'ai vexé... il s'est senti diminué... alors, depuis, il m'évite...
EUX, silencieux... perplexes... hochant la tête...
F.1 : En effet... ça paraît... pour le moins excessif... juste un ton condescendant...
H. 3 : Mais vous savez, la condescendance, parfois...
H. 2 : Ah ? vous comprenez ?
H. 3 : Enfin... je n'irais pas jusqu'à ne plus revoir, mais...
H. 2 : Mais, mais, mais... oh, vous voyez, vous pouvez me comprendre.
H. 3 : Je n'irai pas jusqu'à dire ça...
H. 2 : Si, Si, vous irez, vous verrez... permettez-moi de vous exposer... Voilà... Il faut vous dire d'abord que jamais, mais vraiment jamais je n'ai accepté d'aller chez lui...
F. 1: Vous n'allez jamais chez lui ?
H1. : Mais si, voyons... qu'est-ce qu'il raconte ?
INTRODUCTION
« Oh, mais nous, vous savez, nous n'avons aucune compétence. » (Accroche)
C’est en ses termes que les voisins de H2 évoquent leur incompétence pour statuer autour de l’exacte teneur de la relation unissant les personnages H1 et H2. De façon ironique, cette incompétence, niée par H2, sera malgré tout vérifiée à la fin de ce passage puisque ni F1, ni H3 n’auront clairement su départager les torts et/ou les mérites de chacun. Car qu’en est-il vraiment ? La condescendance de H1, est-elle réelle ou simplement fantasmée ? L’hypersensibilité de H2, a-t-elle une raison véritable de s’indigner… ou bien peut-on dire que ce dernier s’enflamme, sans mauvais jeux de mots, « pour un oui ou pour un non » ? Comment comprendre, au-delà des mots, ce que se reprochent vraiment ces deux protagonistes-là ? C’est un fait, Nathalie Sarraute s’intéresse de très près au « sous-conversationnel » (qu’elle nomme « tropismes »), à ces mouvements imperceptibles de l’âme qui s’immiscent dans les dialogues. Publiée en 1982, Pour un oui ou pour un non s’inscrit dans la continuité des expérimentations littéraires du Nouveau Roman, mouvement littéraire auquel Sarraute est associée. Pour un oui ou pour un non semble effectivement refléter un monde contemporain marqué par des questionnements sur la communication et l’authenticité des relations, à une époque où les années 1980 voient également un regain d’intérêt pour le théâtre de l’absurde. (Contextualisation)
Pour mettre en lumière chacun de ces points, nous articulerons ce texte en 2 axes. Le 1er axe, portera sur les lignes 1 à 13 afin de montrer l’absurde de la situation. Le 2ème et dernier axe, lui, ira des lignes 14 à la fin du texte pour évoquer le comportement parfois manipulateur de H1 et H2, toujours entre comique et pathétique. (Découpage en axes)
EXPLICATION LINÉAIRE
Lignes 1à 13
L’absurde de la situation
Sort et revient avec un couple.
1 [Voilà... je vous présente... Je vous en prie... cela ne vous prendra pas longtemps... il y a entre nous un différend...
Eux : Oh, mais nous, vous savez, nous n'avons aucune compétence.
H. 2 : Si, Si, vous en avez… Plus qu'il n'en faut. Voilà de quoi il s'agit. Mon ami, là, un ami de toujours...
F. : C'est lui dont vous m'avez souvent parlé ? Je me rappelle... quand il a été souffrant... vous étiez si inquiet...
H. 2 : Oui, c'est lui... Et c'est pour ça justement que ça me fait tant de peine.
F. : Ne me dites pas qu'entre vous... après tant d'amitié... vous m'avez toujours dit qu'il a été, à votre égard...
H. 2 : Oui, parfait. Je lui en suis reconnaissant.
F. : Alors pourquoi ?
Des les premières lignes, l’impression que j’ai est d’avoir affaire à une situation absurde. L’entrée des voisins (H3 et F1), explicitée par les didascalies, coïncident pour la première fois dans la pièce à un climat où le non-sens parait de mise. Là où le début de l’intrigue faisait la part belle à un échange tel qui pourrait avoir lieu dans la vie de tous les jours (points de suspension, reformulation, maladresses etc.), l’arrivée de H3 et F1 montre l’absurdité du contexte en nous faisant croire que de quasi-inconnus, parfaites allégories de monsieur et madame Tout-le-monde, pourraient avoir le temps, la compétence et l’aplomb pour statuer de la relation unissant les deux personnages ! N’a-t-on jamais vu des gens que l’on connait à peine avoir le pouvoir de décider si nous sommes oui ou non réellement amis ?
De toute évidence, le début de cet extrait, de par sa dimension absurde, basculerait complètement dans le registre comique.
Sur quels critères objectifs puis-je affirmer de tels propos ?
-
La mention « Eux » pour nommer les personnages H3 et F1 laissent supposer que les deux voisins disent ensemble - et de façon simultanée - la même réplique de façon audible et compréhensible… ce qui semble peu probable.
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Le lyrisme superficiel que tente de créer H2 semble créer un véritable décalage entre le vague soupçon hypothétique de condescendance de H1 et les hyperboles grandiloquentes qu’il emploie (« Plus qu'il n'en faut », « ami de toujours », « ça me fait tant de peine », « Oui, parfait. Je lui en suis reconnaissant » etc.). Ce lyrisme de pacotille me parait d’autant plus dérisoire qu’il est constamment haché par des points de suspensions (ex), mais aussi par des relances quasi systématiques (« Mon ami, là, un ami de toujours », « C'est lui dont vous m'avez souvent parlé ? » / « Oui, c’est lui… », « ... Et c'est pour ça / justement que ça » etc.), des relances pleines d’emphase donnant la sensation d’un discours boursouflé et un rien « caricatural » …
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A la lumière de ces évocations, nous pourrions donc tout à fait évoquer un véritable comique de caractère, de situation… mais aussi de répétition.
Mais s’agit-il seulement là d’une percée comique pour aérer la gravité sous-jacente du texte ? Ou bien s’agirait-il plutôt d’une ambiance comique pour mieux mettre en évidence l’aspect pathétique de ces personnages, emmurés dans leur solitude et leur susceptibilité, incapables de dire clairement ce qui agite leur cœur ?
Lignes 14 jusqu’à la fin
Le comportement manipulateur des personnages, entre comique et pathétique.
H. 1 : Eh bien, je vais vous le dire : je lui ai, paraît-il, parlé sur un ton condescendant...
H. 2 : Pourquoi le dis-tu comme ça ? Avec cette ironie ? Tu ne veux plus faire l'essai ?
H. 1 : Mais si mais si... Je le dis sérieusement. Je l'ai vexé... il s'est senti diminué... alors, depuis, il m'évite...]
EUX, silencieux... perplexes... hochant la tête...
F. : En effet... ça paraît... pour le moins excessif... juste un ton condescendant...
H. 3 : Mais vous savez, la condescendance, parfois...
H. 2 : Ah ? vous comprenez ?
H. 3 : Enfin... je n'irais pas jusqu'à ne plus revoir, mais...
H. 2 : Mais, mais, mais... oh, vous voyez, vous pouvez me comprendre.
H. 3 : Je n'irai pas jusqu'à dire ça...
H. 2 : Si, Si, vous irez, vous verrez... permettez-moi de vous exposer... Voilà... Il faut vous dire d'abord que jamais, mais vraiment jamais je n'ai accepté d'aller chez lui...
F. : Vous n'allez jamais chez lui ?
H1. : Mais si, voyons... qu'est-ce qu'il raconte ?
Dans toute cette deuxième partie du texte, l’impression que j’ai, c’est de voir des personnages au comportement manipulateur, prêt à tout pour avoir le dernier mot, à la croisée du comique et du pathétique.
A) H1
Dès la première réplique de h1, nous voyons une première rupture de ton. H1, visiblement conscient des effets faussement lyriques de son ami, casse le ton solennel de H2 en tentant par l’ironie de mettre à distance ses souffrances.
Le « parait-il », induit effectivement l’idée que sa potentielle condescendance ne viendrait pas d’un fait objectif mais du seul et unique ressenti de H2. Cette ironie, dénoncée par H2 (il dira : « Pourquoi le dis-tu comme ça ? Avec cette ironie ? »), sera transformée dans la réplique qui suit par le verbe « vexer » (il dit « Je l'ai vexé »).
Notons, en effet, que H1 ne dit pas : « je l’ai blessé » (qui sous-entendrait une erreur de sa part en ayant eu un comportement et/ou des mots maladroits). Il dit : « je l’ai vexé ». Le terme « vexer » signifie « froisser la susceptibilité de quelqu'un ». Autrement dit : il ne s’agit plus pour H1 d’assumer une maladresse qu’il aurait eue… mais plutôt de sous-entendre une susceptibilité déplacée de son ami. L’anaphore du pronom « il », répété deux fois, l’exclut d’ailleurs encore plus du dialogue. Quant à l’adverbe de conséquence « alors », il infantilise complètement H2 en sous-entendant un lien de cause-conséquence entre sa blessure narcissique… et le besoin de « bouder » son ex-ami qui a osé lui mettre en évidence son trop-plein d’amour-propre. (« il s'est senti diminué... alors, depuis, il m'évite...] »).
Pourrait-on donc alors dire que H2 est susceptible, gonflé d’orgueil et d’hypersensibilité… ou ne serait-ce pas plutôt H1 qui grossit les traits de H2 pour ne pas avoir à assumer son indélicatesse ?
Face à tant de mauvaise foi – et comme pour confirmer la tonalité absurde de cet extrait - notons que les didascalies elles-mêmes relaient cette atmosphère de non-sens imprégnant le passage, notamment par cette énumération reliées de points de suspension… un trait de ponctuation que l’on avait plutôt l’habitude de voir dans le phrasé des personnages. (« EUX, silencieux... perplexes... hochant la tête... »)
B) H2
A y regarder de près, même si H1 peut être perçu comme un individu très indélicat et condescendant, nous pouvons nous apercevoir que la personnalité de H2 est elle aussi pleine de mauvaise foi, prête à tous les subterfuges pour dominer le débat coûte que coûte.
Sur quels critères objectifs puis-je affirmer de tels propos ?
Il me semble que ce procédé qu’est l’aposiopèse met largement en évidence un certain trait de caractère chez H2.
Qu’est-ce que l’aposiopèse ?
L'aposiopèse consiste en une brusque interruption d’un discours. Cette pause traduit généralement une hésitation, mais peut aussi véhiculer des informations plus ou moins volontairement sous-entendues.
Prenons les exemples tels qu’ils viennent :
H. 3 : Mais vous savez, la condescendance, parfois...
∟on pourrait ici supposer que H3 veuille dire et poursuivre que cette fameuse condescendance peut être justement parfois mal interprétée et qu’il ne s’agit pas toujours forcément de prendre quelqu’un de haut… ce à quoi H2 rétorque « H. 2 : Mais, mais, mais... oh, vous voyez, vous pouvez me comprendre. », comme s’il venait de surligner que ce sentiment partait nécessairement d’une mauvaise intention (alors que ce n’était pas du tout explicité chez H3 !). Il est dit ensuite :
H. 3 : Je n'irai pas jusqu'à dire ça...
∟ ici, H3 contredit l’impression de H2 en évoquant d’autres pistes de réflexions… ce à quoi H2 rétorque : « Si, Si, vous irez, vous verrez », comme s’il était sûr de l’adhésion de H3 à son point de vue… une adhésion qu’il n’a jamais explicitée, de quelle que façon que ce soit.
Cette façon de forcer systématiquement l’interprétation pour aller dans le sens qui l’arrange se vérifie aisément puisque l’on constate à de très nombreuses reprises ce « si » ou ce « oui », comme une anaphore mettant en évidence cette volonté de H2 à toujours vouloir arranger un sous-entendu selon ses préférences. (ex)
Notons, pour terminer sur ce point, que cette manière de brusquer l’interprétation finira par se retourner contre lui dans les dernières lignes. En disant avec insistance et de façon très hyperbolique qu’il n’a jamais été chez H1 (il dira « Il faut vous dire d'abord que jamais, mais vraiment jamais je n'ai accepté d'aller chez lui...), le lecteur qui a lu le livre sait rétrospectivement que H2 parle, non pas de sa maison « physique » mais de sa maison « psychique » siégeant dans des hauteurs qui lui ont longtemps semblé inaccessibles. En voulant ainsi allégoriser les hautes sphères dans lesquelles son ami s’est selon lui retranché, non seulement H1 se fait passer pour excessif et radical (puisque les voisins n’ont pas l’air de saisir la portée métaphorique de son message) mais il suscite en plus de cela l’énervement de H2. (il dira : « H1. : Mais si, voyons... qu'est-ce qu'il raconte ? »). En voulant ainsi créer un effet stylistique qui ne sera pas compris sur le coup, H1 perd toute crédibilité envers ses voisins, totalement égarés et perdus, et qui se déclareront dès lors encore plus incompétents pour statuer sur son sort.
Sous des dehors plutôt comiques, nous touchons sans doute là le véritable drame de cette pièce qui pointe les limites du langage, ravagé par les non-dits et les petites susceptibilités. Ses limites sont d’ailleurs à l’origine du travail de Sarraute autour de ce concept, cher à ses yeux, qu’est le tropisme. Nous entendons ici par « tropisme » ces « mouvements indéfinissables, qui glissent très rapidement aux limites de notre conscience ; ils sont à l'origine de nos gestes, de nos paroles, des sentiments que nous manifestons, que nous croyons éprouver ». Il en résulte des paroles ou expressions parfois incompréhensibles…, comme ceux de H1 et H2, précisément parce que les mots sont le plus souvent incapables à fixer et expliquer ces élans inconscients qui nous animent sans véritable explication rationnelle.
Pour conclure, nous avons donc vu un texte théâtral évoquant d’abord l’absurde de la situation. Dans un 2ème temps, nous nous sommes aperçus que ce climat absurde était sans doute là pour encore mieux évoquer le comportement parfois manipulateur de H1 et H2, entre comique et pathétique. (Synthèse de axes) Cet aspect absurde, à la croisée des registres, plus que les limites du langage, suggère aussi une réflexion sur l’ego et ces petits froissements blessant l’amour-propre. Dans la pièce comique et satirique Le Misanthrope de Molière, le héros du même nom se dispute violemment avec son ami Alceste ? Ces deux-là ne se comprennent plus en raison de leurs blessures et de leur façon de voir le monde (besoin vital et radical de dire la vérité, quoi qu’il en coûte chez l’un/ nécessité de mentir pour ne pas blesser les gens chez l’autre). Peut-on dire, pour la pièce de Sarraute, que H1 et H2 ne se comprennent plus car le langage est par nature imparfait ? Ou bien ne se comprennent-ils plus car leurs blessures mal cicatrisées les isolent et les condamnent, quoi qu’ils se passent et quoi qu’ils disent, à la solitude ? (Ouverture)