
Olivier Cochet, coach scolaire et thérapeute,
Hypnose, PNL, rêves, art-thérapie,eft...
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Explication linéaire :Discours de la servitude volontaire, la fin (La Boétie)
Explication linéaire...
Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...
LE TEXTE
« Si brave donc vous êtes,
Que vous avez charge des bêtes ? » (1)
Cette ruse des tyrans d’abêtir leurs sujets n’a jamais été plus évidente que dans la conduite de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient (2) admirable pour s’en assurer la possession. Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi.
Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément (3) vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. Tel est le penchant naturel du peuple ignorant qui, d’ordinaire, est plus nombreux dans les villes : il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui, pour la friandise du ver, morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude, pour la moindre douceur qu’on leur fait goûter. C’est chose merveilleuse qu’ils se laissent aller si promptement, pour peu qu’on les chatouille.
Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. Ce moyen, cette pratique, ces allèchements étaient ceux qu’employaient les anciens tyrans pour endormir leurs sujets sous le joug.
Ainsi les peuples abrutis, trouvant beaux tous ces passe-temps, amusés d’un vain plaisir qui les éblouissait, s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images brillantes.
1) Que veut dire cette phrase ?
« Si brave donc vous êtes » → Si vous êtes si courageux, si vous avez tant de vaillance…
« Que vous avez charge des bêtes » → … comment se fait-il que vous ne dominiez que des animaux, alors que vous, hommes, acceptez de servir un seul maître ?
Autrement dit, vous vous croyez courageux parce que vous dominez les bêtes, mais vous êtes incapables de vous libérer de la domination d’un seul homme. C’est une pointe ironique : La Boétie reproche au peuple de n’avoir de force que contre plus faible que lui (les animaux), et d’accepter lâchement la tyrannie.
2) Ressource momentanée pour se tirer d'embarras sans résoudre la difficulté essentielle : User d'expédients pour éviter une condamnation.
3) « Expressément » au XVIᵉ siècle (comme aujourd’hui) veut dire clairement, ouvertement, explicitement.
INTRODUCTION
« Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau qui se prenne mieux à la pipée, ni aucun poisson qui morde plus tôt à l’hameçon que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude. » (Accroche)
Cette formule tirée du Discours de la servitude volontaire d’Étienne de La Boétie résume avec ironie et vigueur le paradoxe qui structure l’ensemble de l’œuvre : les hommes se disent braves et épris de liberté, mais se laissent plus facilement séduire que les animaux les plus naïfs. Rédigé vers 1548, alors que La Boétie n’a pas vingt ans, ce texte s’inscrit dans le courant humaniste du XVIᵉ siècle, qui croit en la dignité naturelle de l’homme et en sa liberté. Dans ce traité polémique, publié après sa mort, l’auteur s’interroge sur une énigme politique : pourquoi des peuples, parfois innombrables, acceptent-ils de se soumettre volontairement à un seul homme ? Pour illustrer ce phénomène, La Boétie reprend une intuition déjà formulée par le poète latin Juvénal, qui dénonçait les Romains prêts à tout accepter pourvu qu’on leur fournisse « du pain et des jeux ». L’extrait que nous étudions prend appui sur un exemple historique, la ruse de Cyrus contre les Lydiens, pour élargir la réflexion à une dénonciation plus générale : le tyran n’impose pas son pouvoir par la force, mais par des séductions qui transforment ses sujets en complices. (Contextualisation)
On peut alors se demander : comment La Boétie illustre-t-il la complicité des peuples dans leur propre asservissement, et par quels procédés satiriques et didactiques met-il en garde contre la séduction des divertissements ?
Autant de réflexions que nous traiterons en deux axes : nous verrons d’abord comment l’auteur fait du peuple le véritable soutien du tyran, complice malgré lui de sa propre servitude, avant d’analyser la manière dont il dénonce le rôle corrupteur du divertissement, qui infantilise les peuples et les détourne de leur liberté. (Découpage des axes)

Dans le 1er axe, l’impression que j’ai, c’est que la servitude selon l’auteur ne repose pas sur la force du tyran, mais sur la faiblesse du peuple, piégé et berné avec une étonnante facilité. On dirait bien que ce dernier se laisse effectivement très facilement manipulé… plus vite encore qu’il ne serait vaincu par les armes.
Qu’est-ce qui me permet d’affirmer de tels propos ?
« de Cyrus envers les Lydiens, après qu’il se fut emparé de leur capitale et qu’il eut pris pour captif Crésus, ce roi si riche. On lui apporta la nouvelle que les habitants de Sardes s’étaient révoltés. »
Dans les premières lignes, cette impression initiale est confirmée par La Boétie qui a ici recourt à un exemple historique pour consolider son raisonnement. En évoquant Cyrus et la révolte des Lydiens, il donne à son propos une autorité supplémentaire : l’histoire sert de preuve et de caution. On appelle ça en rhétorique un « argument d’autorité ».
Quels procédés permettent de le montrer ?
Le superlatif hyperbolique «n’a jamais été plus évidente » montre l’efficacité et la facilité de la tâche à accomplir. La précision des noms propres avec tout un champ lexical historique (« Cyrus », « Lydiens », « Crésus », « Sardes ») ancre le discours dans la réalité, selon une démarche humaniste nourrie de références antiques. Le recours à l’histoire confère au texte une valeur d’exemplum, très prisée à la Renaissance : un cas du passé illustre une vérité universelle.
Mais pourquoi cet effet ?
La Boétie veut montrer que la servitude n’est pas seulement un concept abstrait : elle s’est toujours incarnée dans des stratégies concrètes de domination. Ici, l’histoire sert donc à convaincre le lecteur par la force de l’exemple, et non seulement par la logique.
Dans les lignes suivantes, cette même impression est toujours là puisque La Boétie souligne ici la ruse du tyran : plutôt que la violence, Cyrus choisit la séduction et la corruption.
« Il les eut bientôt réduits à l’obéissance. Mais ne voulant pas saccager une aussi belle ville ni être obligé d’y tenir une armée pour la maîtriser, il s’avisa d’un expédient admirable pour s’en assurer la possession. »
Quels procédés appuient cette lecture ?
Le contraste se lit dans l’antithèse: « ne voulant pas saccager… ni être obligé… // il s’avisa d’un expédient ». Par ce balancement, l’auteur met en évidence l’intelligence stratégique du conquérant. La puissance de cette stratégie, selon moi, est d’ailleurs renforcée et mise en lumière par l’adjectif ironique « admirable » (ce qui est dit « admirable » n’est pas digne d’éloge, mais au contraire scandaleux, puisque l’expédient consiste à abrutir un peuple par le vice et le divertissement).
Pourquoi ce procédé ?
Selon mon hypothèse personnelle, La Boétie veut montrer que la tyrannie ne s’impose pas seulement par la contrainte militaire… mais aussi – voire surtout - par la séduction insidieuse. Par cette satire, le registre est ici clairement comique : derrière l’ironie, c’est belle et bien une critique féroce qui se laisse percevoir… sans doute pour montrer que la ruse, contre toute attente – et de façon très contre-intuitive, est plus redoutable que la force et la violence de la guerre.
Mais de quelle ruse exactement parle-t-on ? La phrase qui suit nous donnera vraisemblablement quelques éléments de réponse…
« Il y établit des bordels, des tavernes et des jeux publics, et publia une ordonnance qui obligeait les citoyens à s’y rendre. »
Quels procédés voyons-nous ?
L’énumération (« bordels, tavernes et jeux publics ») permet de créer un véritable champ lexical des plaisirs faciles, en associant plaisir, ivresse et débauche. L’emploi antithétique du verbe « obligeait » rend cette servitude encore plus paradoxale : les citoyens sont contraints… à s’amuser. Ce paradoxe crée un effet d’ironie mordante : ce qui devrait être un choix libre (les divertissements) devient un instrument de domination.
Pourquoi un tel choix ?
Selon moi, la Boétie dénonce ici un pouvoir qui ne se maintient plus par l’épée, mais par l’abrutissement des masses. C’est peut-être la grande leçon de ce texte qui nous dit qu’un dictature ou n’importe quel régime autoritaire peut se passer de la force en ayant simplement recours à des plaisirs et des jeux ! C’est une critique politique mais aussi sociale : les hommes renoncent à leur liberté non pas seulement par peur, mais par goût du plaisir facile. La visée polémique est renforcée : le peuple est accusé de se laisser piéger par ses propres faiblesses. Nous le verrons plus loin, cette réflexion est d’autant plus universelle que notre société actuelle peut également nous donner le sentiment de faire la même chose (nos rapports aux produits de consommation et la manière dont ces derniers peut éteindre en nous toute volonté de se rebeller contre le système).
∟ Quelques exemples actuels ? On pourrait évoquer les pratiques numériques et les marques qui savent exploiter la psychologie de leurs utilisateurs :
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Les réseaux sociaux : TikTok, Instagram ou Snapchat captent l’attention par des mécanismes addictifs (scroll infini, notifications, likes). Beaucoup de jeunes savent pertinemment qu’ils y passent « trop de temps », mais continuent par plaisir immédiat ou par peur de manquer quelque chose (le fameux FOMO – Fear Of Missing Out).
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Les marques de fast-food ou de soda : chacun sait que ce n’est ni sain ni bon marché à long terme, mais les campagnes de marketing transforment la consommation en « expérience cool » (menus personnalisés, jeux associés, influenceurs).
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Minecraft, à l’apparence innocente, éducative même : construire, inventer, créer son monde. Mais derrière cette façade, des psychologues et des spécialistes de l’attention ont travaillé pour renforcer l’addiction : cycles de récompense, quêtes infinies, gratifications régulières. Résultat : des heures et des heures passées devant l’écran, souvent au détriment du sommeil, des relations sociales ou du travail scolaire.
Là encore, comme chez La Boétie, les individus ne sont pas contraints par la force : ils se laissent séduire volontairement, pour une « petite douceur », quitte à perdre une forme de liberté (d’esprit, de temps, d’argent, voire de santé).
Dans les dernières phrases de ce premier paragraphe, j’ai l’impression que La Boétie boucle sa démonstration par une pointe d’érudition savante. Il ne se contente pas de relater une anecdote : il lui donne une portée universelle et durable, jusque dans la langue.
« Il se trouva si bien de cette garnison que, par la suite, il n’eut plus à tirer l’épée contre les Lydiens. Ces misérables s’amusèrent à inventer toutes sortes de jeux si bien que, de leur nom même, les Latins formèrent le mot par lequel ils désignaient ce que nous appelons passe-temps, qu’ils nommaient Ludi, par corruption de Lydi. »
Quels procédés le montrent ?
L’hyperbole « il n’eut plus à tirer l’épée » accentue l’idée d’une victoire totale et définitive : la servitude volontaire a rendu toute résistance inutile. L’expression « ces misérables » traduit un mépris féroce, inscrit dans une visée polémique. Enfin, la référence à l’étymologie (« Ludi » venant de « Lydi ») relève de l’argument d’autorité humaniste : l’histoire de la langue confirme la vérité de l’histoire politique.
Pourquoi conclure ainsi ?
Cette chute érudite donne au lecteur une leçon qui dépasse l’anecdote : les peuples s’aliènent eux-mêmes par goût du divertissement, et cette aliénation peut devenir si profonde qu’elle s’inscrit jusque dans les mots… une manipulation parfaite et quasiment indétectable !
∟ De même, l’expression aujourd’hui courante « Netflix and chill », au départ une formule anodine, est devenue un mot d’ordre culturel qui incarne une certaine forme de passivité devant l’écran, acceptée et intégrée au quotidien. Comme au temps des Lydiens, un terme de langage courant témoigne de notre dépendance collective à un loisir qui nous détourne d’autre chose (réflexion, engagement, effort).
L’histoire du vocabulaire nous en donne d’autres exemples éclairants.
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Le mot « travail » vient du latin tripalium, un instrument de torture formé de trois pieux. Longtemps, travailler signifiait donc « souffrir », « peiner ». L’Église médiévale a repris cette étymologie pour la transformer en une exigence morale : « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front ». Autrement dit, le langage a été réorienté pour inculquer une vision sacrificielle et obligatoire du labeur.
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Plus près de nous, l’industrie agroalimentaire joue sur les mots pour rendre acceptable — voire appétissant — ce qui pourrait choquer. Nous mangeons un « poulet » et non une « poule », un « bœuf » et non une « vache », un « porc » et non un « cochon ». La transformation lexicale neutralise l’animal vivant et le rend consommable en l’inscrivant dans une chaîne industrielle. Comme Cyrus avec ses Lydiens, le pouvoir moderne passe par une maîtrise subtile du vocabulaire : les mots adoucissent la réalité et nous conduisent à accepter ce que nous refuserions peut-être sous une autre appellation.
Ce parallèle montre que l’intuition de La Boétie reste valable : les peuples se laissent séduire non seulement par des plaisirs, mais aussi par des mots qui détournent leur vigilance et les apprivoisent.


Pour ce 2ème axe, l’idée maitresse développée par l’auteur me semble être le fait que les tyrans consolident leur pouvoir en maintenant leurs sujets dans l’illusion et l’infantilisation. Dans la première phrase de ce 2ème paragraphe, La Boétie élargit par exemple le cas de Cyrus à une vérité universelle sur le comportement des tyrans.
« Tous les tyrans n’ont pas déclaré aussi expressément vouloir efféminer leurs sujets ; mais de fait, ce que celui-là ordonna formellement, la plupart d’entre eux l’ont fait en cachette. »
Quels procédés exploite-t-il pour mettre cela en lumière ?
L’antithèse entre l’adverbe « expressément » et l’expression « en cachette » souligne la différence entre le cynisme assumé d’un tyran et la dissimulation de tous les autres. Le pluriel « tous les tyrans » universalise la démonstration. La Boétie passe ainsi du particulier (Cyrus) au général (tous les tyrans), ce qui donne à son argument une valeur universelle. La visée devient ainsi didactique : il établit une loi politique selon laquelle le pouvoir préfère séduire et amollir plutôt que frapper.
Dans les phrases qui suivent, La Boétie rabaisse le peuple, visiblement déjà prédisposé au ramollissement en le comparant à des animaux capturés par ruse.
« Tel est le penchant naturel du peuple ignorant… il est soupçonneux envers celui qui l’aime et confiant envers celui qui le trompe. »
« Ne croyez pas qu’il y ait nul oiseau… ni aucun poisson… que tous ces peuples qui se laissent promptement allécher à la servitude… »
Les procédés exploités pour mettre tout ceci en valeur sont selon moi les suivants :
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L’antithèse en forme de parallélisme de construction « soupçonneux envers celui qui l’aime » / « confiant envers celui qui le trompe » montre l’aveuglement paradoxal des peuples.
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Le champ lexical animal (déjà amorcé à la première ligne avec le mot « abêtir ») comme « oiseau pris au piège, poisson mordu à l’hameçon » relèvent du registre comique avec une forte visée satirique : il ridiculise les sujets qui s’abaissent au rang d’animaux faciles à tromper.
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Le champ lexical de la gourmandise (« friandise, ver, douceur») accentue le caractère puéril et bestial de ce comportement… que l’on retrouve avec le verbe « chatouille » (comme un petit chat à qui l’on ferait une caresse).
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L’ironie avec l’adjectif « merveilleuse », critiquant ouvertement ce peuple visiblement ravi d’être en situation d’esclavage.
Pourquoi de tels procédés ?
L’auteur montre selon moi que le peuple n’est pas victime d’une contrainte mais d’une séduction qu’il accepte avec empressement. La visée est donc ici clairement polémique (accusation violente), porté par un registre pathétique (mise en évidence d’une misère morale). L’image de l’homme réduit à l’animal met en scène la déshumanisation produite par la servitude volontaire.
Dans la phrase qui suit, La Boétie élargit son propos à une critique générale des divertissements utilisés comme moyens de domination.
« Le théâtre, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, le prix de leur liberté ravie, les outils de la tyrannie. »
Quels sont les critères tangibles me permettant d’affirmer cela ? Je vois pour ma part :
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L’énumération accumulative (« théâtre, jeux, farces, spectacles, gladiateurs… ») produit un effet de saturation : la multitude des divertissements masque leur vacuité.
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Le terme péjoratif « drogues » qui crée une métaphore médicale : le peuple est abruti comme par un poison (on retrouvera un peu plus loin le terme « endormir »).
Que mettent en avant de tels procédés ?
Selon ma propre opinion, l’auteur établit ici une théorie du pouvoir par le divertissement. Les tyrans ne règnent pas seulement par la force, mais par l’abrutissement collectif. La visée est satirique (ridiculiser la crédulité des peuples) et didactique (mettre en garde contre l’illusion des plaisirs).
∟ On peut faire un parallèle avec le rôle des États-Unis au XXᵉ et XXIᵉ siècles, qui ont largement consolidé leur influence mondiale non seulement par la puissance économique et militaire, mais aussi par l’hégémonie culturelle. Hollywood, les grandes plateformes de streaming, l’industrie musicale ou encore le modèle consumériste véhiculé par la publicité ont exporté à l’échelle planétaire un imaginaire du « rêve américain ». Comme Cyrus avec ses Lydiens, l’Amérique a compris que l’adhésion culturelle et le divertissement étaient des outils d’influence plus puissants encore que les armes.
Dans la dernière phrase de cet extrait, le texte s’achève sur une image d’infantilisation, qui ridiculise définitivement le peuple réduit à un enfant docile.
« Ainsi les peuples abrutis… s’habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal que les petits enfants n’apprennent à lire avec des images brillantes. »
Les procédés pour mettre cette image en valeur sont d’après moi :
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L’hyperbole « plus mal que les petits enfants » dévalorise radicalement les sujets.
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La métaphore («les petits enfants… ») insiste sur la naïveté et l’immaturité… comme avec le groupe nominal « images brillantes » qui allégorise l’illusion trompeuse : les peuples sont séduits par des apparences vides.
∟ Pour vous donner un exemple contemporain, les marques de vape utilisent aujourd’hui des packagings flashy, des saveurs fruitées (« bubble-gum », « barbe à papa ») et des couleurs vives qui séduisent les jeunes. Derrière cette image « fun » et « ludique », on trouve en réalité une forte dépendance à la nicotine et des risques encore mal connus pour la santé. Exactement comme les « images brillantes » de La Boétie : un appât agréable qui masque une servitude dangereuse.
En définitive, La Boétie assimile le peuple à un enfant qui ne grandit jamais, prisonnier d’une fascination superficielle. La visée satirique reste donc très forte… renforçant la visée polémique : le peuple n’est pas seulement victime, il est coupable de son aveuglement volontaire.
CONCLUSION
Pour conclure, ce passage du Discours de la servitude volontaire illustre avec force deux idées centrales : le tyran n’existe que par la complicité de son peuple, et son pouvoir se maintient moins par la contrainte que par l’illusion et le divertissement. La Boétie met ainsi en garde contre une servitude d’autant plus redoutable qu’elle est volontaire, les peuples préférant les « images brillantes » de leurs plaisirs à l’exigence de leur liberté. Cette critique, à la fois satirique et didactique, conserve une portée universelle : hier comme aujourd’hui, les chaînes les plus solides ne sont pas de fer, mais de douceur.
On peut rapprocher cette leçon d’un tableau de Georges de La Tour, Le Tricheur à l’as de carreau. Derrière une scène de jeu apparemment élégante, le peintre montre un jeune homme absorbé dans son plaisir, inconscient qu’il est dupé par un tricheur et par les complicités qui l’entourent. Comme chez La Boétie, ce n’est pas la force qui asservit, mais la séduction et l’illusion : la victime, fascinée par le jeu, devient l’artisan de sa propre perte.
