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La Peau de chagrin, (1831, H. de Balzac), excipit de la Peau de chagrin, mort du héros

Explication linéaire...

Ci dessous, tu trouveras une explication linéaire du texte en question. Il existe une vidéo (en cliquant ici ou en dessous) où ce même texte est également expliqué... avec en plus quelques outils de méthodes et de compréhension...

LE TEXTE

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La jeune fille crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla chercher la lampe. Éclairée par la lueur vacillante qui se projetait également sur Raphaël et sur le talisman, elle examina très-attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la Peau magique. En la voyant belle de terreur et d’amour, il ne fut plus maître de sa pensée : les souvenirs des scènes caressantes et des joies délirantes de sa passion triomphèrent dans son âme depuis longtemps endormie, et s’y réveillèrent comme un foyer mal éteint.

— Pauline, viens ! Pauline !

Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle ferma la porte.

— Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi !

Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein, et pour se donner une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. — Si je meurs ; il vivra, disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient épars, ses épaules nues, ses vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le visage enflammé, se tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre dans ses bras.

Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses forces ; mais il ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont chaque respiration creusée plus avant, semblait partir de ses entrailles. Enfin, ne pouvant bientôt plus former de sons, il mordit Pauline au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris qu’il entendait, et tenta d’arracher à la jeune fille le cadavre sur lequel elle s’était accroupie dans un coin.

— Que demandez-vous ? dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit ?

 
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INTRODUCTION

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« et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main» (Accroche)

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C’est en ses termes que le narrateur résume finalement le propos de cette histoire… comme si les désirs de son personnage l’amenaient inexorablement à la mort qui lui était promise dès l’achat de cette fameuse peau, objet de son malheur. Ce roman paru en 1831 viendra largement confirmer le succès de Balzac en tant que romancier empruntant ce que les spécialistes appelleront plus tard « le réalisme fantastique ». Aurait-on donc ainsi affaire à une histoire nous faisant réfléchir sur le désir et la passion qui finissent dans cet extrait par consumer Raphaël ? Ces derniers, sont-ils un moteur ou un frein dans notre épanouissement personnel ? Suscitent-ils l’énergie nous rapprochant de notre élan vital ou au contraire la destruction nous rapprochant du chaos et de la mort ? Balzac lui-même définissait son œuvre comme « une fantaisie presque orientale où la vie elle-même est prise avec le Désir, principe de toute passion ».

 

[Contextualisation]  

         

Pour une meilleure fluidité dans l’explication de ce texte – avec toutes les réflexions qui en découle, je découperai le passage à étudier en 3 axes :

  1. Une atmosphère irrationnelle et trouble mettant en avant une certaine fébrilité des personnages (ligne 1 à 6)

  2. Une douleur accrue des personnages (ligne 7 à 13)

  3. Une mort vibrante, hyperbolisée par nombreux effets (tout le reste du texte)

 

 [Découpage]

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EXPLICATION LINEAIRE

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« La jeune fille crut Valentin devenu fou, elle prit le talisman, et alla chercher la lampe. Éclairée par la lueur vacillante qui se projetait également sur Raphaël et sur le talisman, elle examina très-attentivement et le visage de son amant et la dernière parcelle de la Peau magique. En la voyant belle de terreur et d’amour, il ne fut plus maître de sa pensée : les souvenirs des scènes caressantes et des joies délirantes de sa passion triomphèrent dans son âme depuis longtemps endormie, et s’y réveillèrent comme un foyer mal éteint. »

 

Dans les six premières lignes de cet extrait, il me semble avoir affaire à une atmosphère irrationnelle et trouble mettant en avant une certaine fébrilité des personnages.

(Impressions)

Je repère effectivement une énumération de verbes conjugués au passés simples.

(Procédés)

Ces verbes au passé simple, je les vois dans les termes comme « crut », prit le talisman, et alla chercher la lampe. », « elle examina très-attentivement », « il ne fut plus maître de sa pensée », « des joies délirantes de sa passion triomphèrent dans son âme depuis longtemps endormie, et s’y réveillèrent ».

 

(Exemples)

 

Ces énumérations montrent d’après moi des actions brèves, rapides… à la limite de la convulsion. Cet aspect convulsif, du reste, semble également souligné par le champ lexical de l’irrationnalité (ex).

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Selon moi, cette irrationnalité imprégnant tout ce passage met en relief l’oxymore « En la voyant belle de terreur et d’amour ». La figure de style, ici, pourrait ainsi montrer que Raphaël n’a plus le sens commun et a complètement perdu le sens des réalités. Peut-on en effet vraiment être belle et terrorisée à la fois ? Cette folie – pour ne pas dire le côté malsain vampirisant le personnage trouve son point d’orgue dans la comparaison « comme un foyer mal éteint. », comme si tout, à l’approche de la mort, était prétexte à basculer définitivement dans la folie.

 

 (Argumentation)

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« — Pauline, viens ! Pauline !

Un cri terrible sortit du gosier de la jeune fille, ses yeux se dilatèrent, ses sourcils violemment tirés par une douleur inouïe, s’écartèrent avec horreur, elle lisait dans les yeux de Raphaël un de ces désirs furieux, jadis sa gloire à elle ; et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main. Sans réfléchir, elle s’enfuit dans le salon voisin dont elle ferma la porte.

Pauline ! Pauline ! cria le moribond en courant après elle, je t’aime, je t’adore, je te veux ! Je te maudis, si tu ne m’ouvres ! Je veux mourir à toi ! »

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Dans le deuxième axe, il me semble que l’atmosphère irrationnelle du passage s’oriente vers une douleur accrue des personnages. Qu’est-ce qui me permet de justifier de tels propos ?

  • Je repère un champ lexical de l'horreur

  • Je devine également des énumérations de point d’exclamation montrant des sentiments vifs, forts, voire désespérés.

  • Une perte de repères de plus en plus explicite de la part du personnage. Cette perte, je la vois avec :

  • l’antithèse « et à mesure que grandissait ce désir, la Peau en se contractant, lui chatouillait la main » (montrant une confusion entre ces désirs grossissants qu’il ne peut réprimer et son souffle de plus en plus faible annonçant la mort à venir)

  • la gradation « je t’aime, je t’adore, je te veux ! »). La figure de style, ici, montre clairement que Valentin n’est plus dans l’amour… mais un sentiment dévorant allant jusqu’à chosifier celle qu’il aime, comme si elle était en sa possession.

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« Par une force singulière, dernier éclat de vie, il jeta la porte à terre, et vit sa maîtresse à demi nue se roulant sur un canapé. Pauline avait tenté vainement de se déchirer le sein, et pour se donner une prompte mort, elle cherchait à s’étrangler avec son châle. — Si je meurs ; il vivra, disait-elle en tâchant vainement de serrer le nœud. Ses cheveux étaient épars, ses épaules nues, ses vêtements en désordre, et dans cette lutte avec la mort, les yeux en pleurs, le visage enflammé, se tordant sous un horrible désespoir, elle présentait à Raphaël, ivre d’amour, mille beautés qui augmentèrent son délire ; il se jeta sur elle avec la légèreté d’un oiseau de proie, brisa le châle, et voulut la prendre dans ses bras.

Le moribond chercha des paroles pour exprimer le désir qui dévorait toutes ses forces ; mais il ne trouva que les sons étranglés du râle dans sa poitrine, dont chaque respiration creusée plus avant, semblait partir de ses entrailles. Enfin, ne pouvant bientôt plus former de sons, il mordit Pauline au sein. Jonathas se présenta tout épouvanté des cris qu’il entendait, et tenta d’arracher à la jeune fille le cadavre sur lequel elle s’était accroupie dans un coin.

— Que demandez-vous ? dit-elle. Il est à moi, je l’ai tué, ne l’avais-je pas prédit ? »

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Dans le troisième et dernier axe, il me semble que la mort de Raphaël est hyperbolisée/amplifiée par le biais de tous les procédés précédemment évoqués dans les axes 1 et 2.

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Cette hyperbolisation, je la retrouve donc dans le champ lexical de la mort (ex), mêlé à celui de l’horreur (ex). Cette impression, déjà très forte, est encore largement intensifiée par des figures d’accumulation (ex).

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Pour clore et justifier la dimension tragique et pathétique de cette dernière impression, nous retrouvons à la dernière ligne une forme de réification du sentiment amoureux où l’être aimé est chosifié comme un vulgaire objet (« Il est à moi »). Cette chosification de l’être aimé (déjà observé chez Raphaël dans l’axe précédent) ne peut que laisser songeur. S’il y a réciprocité des sentiments chez les deux amants, ce n’est pas tant dans l’état amoureux mais dans l’état de possession dans lequel il fige l’autre. Ce « climax » montre selon moi l’impact effrayant de cette peau de chagrin qui a aussi bien vampirisé Raphaël que Pauline.

Par son aspect merveilleux et surnaturel, cet extrait apporterait donc une dimension de conte au roman mais aussi une dimension philosophique sur la question des désirs et nos manières de les assouvir… ou non. 

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CONCLUSION

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Pour conclure, nous avons vu point Raphaël, dans une ambiance sombre et crépusculaire, s’est fait la victime de cette peau de chagrin qui a portant paradoxalement assouvi tous ses désirs souhaités au départ. Si ces fantasmes ont été accomplis, il en paye le prix fort à la fin de cette œuvre en se laissant dominer par ceux-ci… jusqu’à contaminé celle qu’il aime, elle aussi engloutie par le désir de possession.

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Cette manière d’appréhender le réalisme pourrait se comparer à celle de Stendhal qui, à certains égards, incarne lui aussi une certaine facette du réalisme. Mais là où Balzac se plait à sonder les tréfonds de la psyché humaine en utilisant une sorte de réalisme fantastique, l’auteur de La chartreuse de Parme, lui, critique les passions de ses personnages – comme Fabrice et Clélia - par un réalisme ironique en se moquant de leurs pulsions qui les vampirisent elles aussi de bout en bout. On peut dès lors se demander la réelle place qu’il faudrait accorder à ses désirs pour retrouver une certaine sérénité. Si, comme le dit le narrateur, « le bonheur engloutit nos forces, comme le malheur éteint nos vertus », comment trouver un véritable équilibre entre ces deux sentiments ?

 

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TEXTE
Introdution
Explication linaire
Conclusion
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